COPENHAGUE 1

 

Le message lui parvint si tardivement qu'il ne pût y répondre. Même en tentant de téléphoner, il n'aurait pu joindre Julian qui était en salle d'embarquement ou déjà dans l'avion. Erik dansait ce soir-là et avait un grand dîner ensuite. C’était le début d'un festival d'été qui connaissait beaucoup d'engouement et l'été étant court au Danemark, les soirées festives y sont prisées. Julian lui ayant donné l'adresse d'un hôtel chic où il résiderait, il lui fit passer un message. Le matin, vers dix heures, Erik s'y présenta. Son ami n'étant dans aucun des salons du ré de chaussée, il le rejoignit dans sa chambre. Sans qu'il en ait eu totalement conscience, il se vêtait désormais comme lui de lainage et de cachemire, mêlant les couleurs et les matières et il était très élégant. Il frappa à la porte de la chambre et dans le moment qu'il le faisait, son cœur se mit à battre furieusement. Il ne comprenait pas pourquoi il était si ému. Était-ce le fait qu'ils ne s'étaient pas vus pendant presque deux ans ?

Il entendit la voix ferme de son ami.

-Mais entre, la porte est ouverte, Erik.

Julian portait une robe de chambre dans les teintes brun et fauve et ses pieds étaient nus.

Ils se regardèrent sans mot dire et le silence s'intensifia. Erik se sentait comme pétrifié et sa gorge était sèche. Il se tenait droit et ne pensait plus.

-Tu es venu au Danemark mais j'ai accepté de toute façon. Je vais danser dans la maison de Balanchine...

Julian était manifestement ému mais il garda une apparence rieuse

-Je le savais que tu avais accepté mais l'argument du voyage touristique m'a semblé irréfutable !

- En fait, il l'est !

- Ah, tu vois ! Tu vas me faire visiter!

- Copenhague ? Oui. C'est une belle ville.

- Et guidé par un natif...

-Oui, tu vas adorer !

Toutefois, il ne sourit plus et observa le danseur :

 

COPENHAGUE 2

-Oh, tu es vêtu si joliment Erik ! Souviens-toi qu'à Londres, tu étais un dandy qui collectionnait les vêtements de récupération et les jolies pièces ! C'était très réussi, sur toi en tout cas. Mais te voilà plus sobre. Tu es presque aussi bien vêtu que moi et je dirais même plus, tu es presque moi.

Il était difficile au danseur d'être plus immobile et tendu mais son ami qui l'impressionnait tellement choisit non de prendre l'avantage mais de le dérouter :

- Tu n'es pas « presque moi » ?

-Je ne suis pas sûr. C'est juste des vêtements comme ça...

Le décorateur l'écouta avec attention avant de changer de visage. Il avait l'air très ennuyé.

- Mais ton lacet est défait, attends !

Il s'approcha et s'agenouilla. Il refit le lacet défait. Erik portait des chaussures coûteuses, très belles. Il le sentit, son ami pouvait se relever mais ne le faisait pas. Surpris, il attendit puis se pencha et lui prit le bras. Quand Julian se fut redressé, ils furent face à face. Ils étaient plus proches l'un de l'autre qu'ils ne l'avaient jamais été et l'émotion les terrassait. Ils restèrent silencieux puis Julian dit :

- New York, maintenant ?

- Oui. C'est un honneur. J'espère que...

- Tu verras, mon amour, ce sera bien.

- Je crois.

- Ne sois pas si tendu, viens.

- Il faut que je te dise...

- Que tu vas aimer le plaisir avec moi ? Mais oui...

Il se laissa déshabiller. Les gestes de Julian étaient sûrs et doux. Nus, ils ne pouvaient se détacher l'un de l'autre et le plaisir les faisait crier. Ils somnolèrent et recommencèrent. Quand ils furent rassasiés, Julian scruta son ami :

- Dis-moi, tu n'es pas néophyte ! Tu fais très bien l'amour. Je n'en me serais pas douté. A Londres, tu as très bien donné le change. Je t'ai cru vertueux...

- Non. En général, elles étaient contentes.

-Ah, ah, ah ! Hawkins et les autres, Je ne parle pas d'elles ! Tu m'amuses. On en vient au vrai sujet ?

Erik eut l'air embarrassé :

- Je n'ai jamais réussi à te le dire. Du reste, personne ne sait.

- A dire quoi ? C'est récent ? Tu t'es enfin découvert !

- Non.

Cette fois, il paraissait vraiment mal à l’aise. Julian prenant la mesure de sa frayeur dut se radoucir.

- Mais qu'est-ce qu'il y a ? Qui était-ce ?

- Un Danois. Mads Hansen. Je l'aimais bien.

- Tant mieux. C'était qui ? Un chorégraphe ?

- Non. Un commandant de bord. Il travaillait pour Scandinavian Airlines.

- Erik, c'est invraisemblable ! Ça ne s'invente pas ! Tu es d'une drôlerie ! Plus âgé que toi ?

- Presque vingt-ans. J'étais très jeune, j'avais dix-neuf ans.

- Très bon professeur. Tu es vraiment doué. Ça a duré longtemps ?

- Huit-dix mois.

- Mais quel être rusé ! Tu as réussi à me faire douter en Angleterre alors qu’à l’habitude, je suis sagace. J’ai vraiment pensé qu’il fallait tout t’apprendre. Ce n’est vraiment pas le cas. Tu es un amant délicieux…Dis-moi, ce Mads, il est dans les parages ?

- Il est mort brutalement.

Manifestement, le danseur ne voulait pas en dire plus mais Julian, inconscient de la souffrance profonde qui traversait Erik, insista.

- Mais que dis-tu ? Quelle est cette histoire ?

- Écoute, ça fait longtemps.

- Il a eu un accident ? Qu’est-qui a pu te…

- Je ne parle jamais de lui. Jamais. Viens, on va sortir !

Cette fois, le jeune homme paniquait. Envahi par l’angoisse, il avait quitté le lit et cherchait à rassembler ses vêtements. Il s’écarta vivement de Julian qui voulait le prendre dans ses bras. Celui-ci se reprit enfin.

- Tu as l'air bouleversé et tu ne diras rien de plus, n’est-ce pas ?

- Non, je ne veux pas. On sort et on refera l'amour ! Allez, viens !

- Que tu es double !

- Viens. Ça fait si longtemps et j'ai aimé Sonia après et je l’ai oublié. Ne me parle plus de lui. Promets-le.

- Soit. C’est promis. Maintenant, sortons.

Ils errèrent dans Copenhague et la tristesse du danseur disparut presque aussitôt. Ils rirent beaucoup quatre jours durant et Ils se caressèrent encore et encore. L'appartement d'Erik ravit Julian par sa sobriété mais sans donner aucune raison, le danseur insista pour le luxueux hôtel où le décorateur avait décidé de se poser. Le temps était à la liberté des humeurs et au sexe et à l'errance. Aucune question insistante n'était de mise. Julian ne se préoccupa de rien d'autre que de l'à propos de son jeune ami quand il lui présentait l'histoire de sa ville à travers ses monuments et de son abandon quand les portes se refermaient. Il n'y avait plus alors que ce corps jeune et ferme, la grâce d'un bras placé au-dessus de la tête et ces cils blonds qui barraient des paupières closes. Et pour cet Américain lettré qui avait conscience de sa frustration, le désir prenait forme. Il pouvait s'appeler Amour.