Claire, la Française.

Au début des années soixante-dix, Claire,

une jeune Française est mariée à Svend, un Danois. 

Elle a qatre enfants de lui. Erik est le seul garçon et le dernier-né. 

A lui, elle se confie...

Les premières années, dans les pièces petites de la maison, alors qu'à travers les fenêtres sans rideaux, la lumière entrait parfois avec violence, elle l'avait tenu dans ses bras et l'avait fait danser. Il était tout petit et posait ses yeux dans les siens. Tous les deux les avaient bleus. Les petites, ses sœurs, dansaient autour d'elle. Elles faisaient la ronde. Il était content. Sa mère avait des odeurs fraîches, des senteurs de jeune fille. Elle l'aimait, elle follement, son petit garçon. Plus tard, elle avait été plus pudique ne voulut plus montrer ce violent amour.

 Elle se racontait beaucoup. Elle disait avoir tout de suite aimé le Danemark et elle riait.

- Moi, quand je suis arrivée à Copenhague, je parlais le français qui est ma langue maternelle et l'anglais, plutôt bien. J'étais toute jeune. J'avais vingt-deux ans, tu sais ! Eh bien, Erik, si tu es amené à vivre dans un pays autre que le tien, je t'assure, ne fais comme moi. Je suis arrivée avec un petit guide linguistique, je l'ai étudié sans plus et j'ai essayé de me contenter de cela. Ah, Erik, ne fais pas ça ! Une fois que les Danois, et ça n'a pas traîné, ont eu repéré que j'étais française et me contentais de peu, ils se sont bien amusés. J'essayais de jongler avec des tableaux comme ceux-ci. Tiens, regarde ! « Je m'appelle, je viens de...J'aime...Je n'aime pas...Je voudrais, je ne voudrais pas...Voudriez-vous....C'est possible de...Je vous remercie...Le Danemark est si différent de la France ! » 

Ils riaient tellement !

- Heureusement que je parlais anglais. J'étais naïve, tu sais. Je me souviens de mon tout premier manuel. Ça donnait ça : « Un arbre vert » se dit… Le livret que j'utilisais disait en substance « Nous espérons que vous avez profité de cette leçon sur les phrases en danois y compris les expressions quotidiennes, les salutations et les phrases utiles. Après avoir terminé de cette page, veuillez consulter notre page principale pour plus de la grammaire et le vocabulaire. N'oubliez pas d'ajouter cette page aux favoris et bon courage pour l'apprentissage du danois ! »

Elle riait et virevoltait. Elle s'amusait d'elle-même :

-Tu imagines, Erik, comment tu places dans une conversation où tu ne comprends quasiment rien : « Jeg laeste en bog tider » ou « han er amerikansk » ? Je t'assure, tu essuies des défaites. Alors, tu mets ton orgueil dans ta poche et tu apprends sérieusement le danois. Tu sais, il fallait que je travaille, de toute façon et j'ai rencontré votre père. J'ai trouvé qu’il était « un ami très gentil, « en megetdejlig ven » et je lui ai vite demandé : « Er du alene ? », « êtes-vous seul? ». Devine ce qu'il a répondu ?

A cette époque, elle comptait beaucoup pour Erik qui la recherchait avec application, ne sachant trop comment aborder son père. Svend était si différent de Claire ! Il n'avait pas ce mal à aimer ses filles qui ne s'offusquaient pas  de  sa nature réservée et de la façon dont il retenait ses émotions mais avec Erik, il n'en allait pas de même. L'enfant se raidissait vite et restait silencieux. Il le trouvait sévère et redoutait son jugement. Pour ce père secret, il n'était pas le fils attendu : bagarreur, affirmé, solide. Tous deux s'observaient beaucoup. Claire, mal à l'aise, tentait bien de tempérer leur gêne :

- Allons, Erik, ton papa ne s'exprime pas facilement mais je t'assure qu'il sait rire ! Il ne sait pas trop comment faire avec toi !  Mets-toi à sa place ! Tu lui parles et lui souris peu !

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Svend venait du Jutland et avait grandi à Skagen. C'est la région la plus au nord de Danemark et sa ville de naissance était la plus septentrionale. Dans les années quarante, alors que son enfance se terminait, elle était déjà célèbre pour deux raisons : d'une part, la petite ville, d'assez bel aspect, avait abrité une école picturale de bon renom qui avait, d'ailleurs pris le nom « d'école de Skagen » ; de l'autre, elle offrait de beaux paysages marins. Deux mers s'y rencontraient.  Svend aimait et connaissait la mer et des années après avoir quitté la petite ville de son enfance, il se souvenait d'elle et de l'étrangeté de la lumière dans cette région. Par contre, de son propre aveu, il était resté totalement indifférent, enfant, au fait que des peintres aient jugé bon de s'installer dans son village pour y pratiquer leur art. Ce n'est qu'à l'âge adulte, alors qu'il vivait depuis longtemps à Copenhague, qu'il avait été pris de regret. Il le savait, la grande majorité des peintres de Skagen étaient danois. On trouvait parmi eux Anna et Michael Peter Ancher, Peder Severin Krøyer, Thorvald Niss, Holger Drachmann et d'autres. Il s'était alors intéressé à eux. Soren Kroyer, surtout, avait peint de merveilleux tableaux : cette jeune danoise en longue robe blanche qui, étendue sur une chaise longue, à l'ombre d'un bel arbre en fleurs, semblait plongée dans la rêverie évoquait sa « cousine française » que Renoir avait admirée. Il adorait ce tableau. Il aimait aussi ces enfants avançant dans les eaux conjointes de mer du Nord et de la Baltique, sous le regard attentif de leurs mères vêtues de robes incrustées de dentelle. Ces peintres, il avait bien fallu qu’il s’y intéresse. Erik, après avoir dansé à Copenhague, avait réussi aux Etats-Unis où il illuminait de grandes scènes tout en tournant des films. Si on a un fils qui pratique un art aussi exigeant que la danse classique, qu'il y excelle et qu'il est adulé, il est difficile de paraître inculte. A deux ou trois reprises, des journaux l'avaient interrogé et il avait menti. La vocation d’Erik venait de Skagen. Forcément, ces peintres…