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Après l'Angleterre et les Usa, le danseur Erik Anderson revient au Danemark avec la 

jeune femme qu'il aime, Chloé. Bientôt, il voudra travailler pour un chorégraphe américain installé

à Hambourg et se remettre sur les traces de Vaslav Nijinsky.

Il laissa Chloé à Odense et partit quinze jours. Elle fut malheureuse puis ulcérée mais Marianne avait sur elle un pouvoir apaisant. En lui donnant des leçons de danois, en lui faisant lire de grands textes de théâtre et en lui faisant dessiner des costumes possibles pour ses nouveaux rôles. Américaine issue d'un milieu modeste, la jeune fille avait reçu comme un dû les travaux des féministes américaines. Elle estimait avoir droit à un bonheur sans mélange et s'en voulait d'aimer quelqu'un comme Erik. Marianne s'amusa de ce mode de pensée :

- Pourquoi t'en veux-tu ?

- On ne m'a pas préparé à m’éprendre d'un homme qui…

- Tu me fais sourire. D'un homme qui ?

- Je ne devrais penser qu'à lui et lui ne devrait penser qu'à moi !

- « Quand le règne de la femme aura rendu la terre inhabitable à l'homme, il s'élancera sur la mer, pour avoir la paix, car les femmes préférerons mourir plutôt que de les y suivre. »

- Ça veut dire quoi ?

- Il pense à toi et il s'occupe de toi. Il a des sentiments forts. Mais toi, tu veux régner !

- Tu as inventé ces belles phrases ?

- Non. Karen Blixen les a écrites. C'est une nouvelle qui s'appelle Le Singe dans les Sept Contes gothiques. Toi tu connais Souvenirs d'Afrique. Enfin, j'espère.

- Oui, je connais un peu. En fait, le film.

Marianne sourit.

- Fais-moi une autre citation de Karen Blixen

- Elle ne va pas te plaire.

- Fais- là, quand même.

- Bon : « Si l'un des sexes découvrait qu'il ne joue pas de rôle plus essentiel dans la vie de l'autre sexe que celui-ci n'en joue dans la sienne, il serait d'abord vexé, et ensuite blessé. »

- En effet, ce n'est pas tellement...

- Reste. Il va te surprendre.

- Il a lu beaucoup d'auteurs danois ?

- Oui, bien sûr. Autant qu'il a pu car sa formation a été dure. Mais il le fallait. Un danseur classique qui arrive à briller doit être cultivé.

Marianne voyait bien que Chloé lâchait prise mais elle fut forte, habile, amicale. Elle l'empêcha de retourner en Californie et la fit lire...

 A New York, le danseur vit clairement que son ami ne lui mentait pas. Las, éreinté, il tenta de bien l'accueillir mais le cœur n'y était pas. Sa tâche était écrasante. Il alla à Boston et vit pour la première fois, l'immense demeure de Beacon Hill et fut à la fois impressionné et triste : tout était si étrange !  Comment Julian avait-il pu faire dans ce dédale de pièces, ces marbres, ces dorures, ces lustres et ces velours ? Il voulut qu'il lui parlât d'Agnès, sa sœur morte, mais son ami s'y refusa. C'était un univers étouffant. Ils durent passer cinq nuits dans cette maison lugubre et au matin, nul ne parlait. La dernière nuit, Julian vint dans sa chambre, se mit nu et ouvrit les draps. Erik se mordit les lèvres à la pénétration et l'instant d'après, il éprouva un plaisir suffoquant qui inonda tout son être. Il n'eut aucun remords et se dit que s'entendre ainsi c'était comme rejoindre des terres aussi étrangères que bénies. Seuls ceux qui les parcourent se comprennent. De retour à New York, ils furent tour à tour agités, en guerre puis calmes, mais le lien fort ne se rompait pas et il eut encore ces approches nocturnes qui le rendaient captif. Il ne sut comment en parler à son amant et celui-ci ne parut pas conscient de son emprise. Il constata cependant que Julian n'avait pas annulé ses engagements  mais qu'il les avait reportés. La donne était claire : il viendrait.