rejet

 

Erik console Julian ....Trouver les mots...

Il n'y avait pas à répondre. Erik aida Julian à s'allonger sur un canapé et lui donna une couverture. Il le contempla un instant  puis  alla lui faire un café. Quand il revint, son ami s'effondrait. Le danseur eut autant de tact que possible.

- David est prévenu de ton état ?

- Qu’est-ce que David vient faire là-dedans ? Il est beau et bon danseur mais il est déconcerté par ce que je suis. Je le comprends, remarque…Il est en retrait en ce moment. Il n’a pas le choix.

- Je ne vais  pas partir. Je vais rester avec toi, là, maintenant.

- Ne te force pas.

- Ce n'est pas le cas. Bois ton café.

Il s'assit sur un fauteuil près de lui et le regarda avec bienveillance. Mais cela ne suffisait pas. Des larmes coulaient lentement sur les joues de cet homme qui ne voulait ou ne parvenait pas à lui parler. Erik posa son front contre le sien avant d'essuyer du revers de la main, les marques de sa défaite.

- Ne pleure pas, je t'en prie.

- Je ne pleure pas !

- Si. Apaise-toi.

- Tu veux savoir ce qui était le plus incroyable ?

- Oui, dis-moi.

- Son prénom ! Peux-tu le deviner ?

- Oui, c'est un étudiant qui s'appelle Erik.

- Et il n'est pas anglais, tu sais. J'ai compris qu'il venait du nord. J’aurais tellement voulu « danois » mais il m’a dit « suédois ». Et il veut être acteur. Pourtant, il a le corps d’un danseur …

Son ami, il le voyait, était au bord de la rupture nerveuse. Il commençait à s'agiter beaucoup, à crier. Il haletait. Le danseur lui retira sa tasse et alla chercher un sédatif. Comme il le lui tendait avec un verre d'eau, il lui dit avec détermination :

- Julian, ça n'a pas de sens! Tu sais ça ?

- Je ne sais pas, non.  Il m'a emmené chez lui : une petite chambre d'étudiant. C'était clair qu'il n'avait pas l'habitude. Il était comme toi, comme toi : ses lèvres ! Je voulais tellement le prendre ! Il était mal à l'aise, je voyais bien et puis il a dit que oui. Il a bien gagné. Ce soir, il est venu ici et…

- Ça va aller.

Son ami criait, pleurait et haletait encore.

- Beau, beau jeune homme, il commençait à se laisser faire et tout d'un coup, il m'a battu. C'était déconcertant mais j'ai aimé qu'il le fasse. En partant, il m’a volé : quelques objets d’art, de l’argent….

Le danseur prit brièvement son ex-amant dans ses bras puis s'en écarta. Il garda son sang-froid.

- Tu peux parler, dire ce que tu veux, je t'écoute.

Installé dans un fauteuil, il entendit ces mots qui sont le signe du déchirement du cœur. Ce fut long et jamais il ne baissa les yeux. Quand Julian eut terminé, il prit un livre et le veilla, s'émerveillant chaque fois qu'il quittait sa lecture des agencements savants que son ex-amant savait créer dans une pièce. Lampes et paravents, tableaux et jeux de couleurs. L’Eckersberg était toujours là.

Quand le soir vint, il lui dit :

-J'ai contacté une agence. Une aide arrive pour toute la nuit. Je vais l'attendre et demain, je viendrai te voir. Je reviendrai souvent, jusqu'à ce que ça tu sois mieux.

Comme Julian ne disait rien, il ajouta.

- Ne va croire que je ne ressens rien pour toi.

- Tu ne ressens rien pour moi.

- C'est faux.

- Mais tu as besoin d'elles !

- J’ai besoin de Chloé, je suis très attaché à elle mais ce n’est pas nouveau ! J'ai un enfant d'elle. Je ne peux pas oublier cela ! C'est tellement extraordinaire ! Elle est petite, très belle ... Elle a beaucoup de joie dans ses grands yeux bleus. Elle est la petite fille de tous les matins. Elle est Eve, Eva, la première. Je ne voudrais pas qu'elle connaisse l'effritement…Je sais que vous ne comprenez pas, que tu ne comprends pas mais vous m’importez tant ! Toi aussi, Julian. Comment peux-tu ne pas le savoir !

Julian se mordit les lèvres pour éviter de gémir de souffrance. Le danseur le laissa mais il revint au matin et dans la journée et ceci plusieurs jours de suite.

- Christopher et moi avons pris les rênes au théâtre, écartant avec tact ton monsieur Harper. C'est ponctuel mais il faut que tout se fasse. Tu nous en  veux ?

- Non.

-Ce soir, je peux dormir dans ton salon.

-Oui, reste.

Au matin, il assista silencieusement son ami qui se lavait avec difficulté puis il lui servit du café. Au moment de partir, il laissa Julian l’attirer à lui et lui effleurer les lèvres d’un doigt. Il y avait longtemps qu’ils ne s’étaient observés de si près et dans le regard du danseur, Julian  lut une grande mansuétude.

-  Dorian Gray comporte trop  de zones d’ombre et tu m’as mis mal à l’aise. Ces portraits, ces mises en abime, ces miroirs. Pendant les répétitions, tout était lourd. J’ai été très atteint mais j’ai aussi beaucoup menti. Ce que tu as fait est très bien. Maintenant, je te le dis.

La situation se rétablit. L’un et l’autre s’apaisèrent mais désormais, s’ils ne se heurtaient plus, ils rencontraient le silence.