A Londres, Erik Anderson travaille désormais dans un théâtre que
supervise Julian, son ex-compagnon. La détresse de celui-ci devient tangible....
Tous au théâtre semblaient plus sombres et Erik s’avisa tardivement de la soudaine réserve de Wegwood et de l’air défait de David Knight. Il semblait en disgrâce. Le danseur, qui évitait Julian depuis quelques temps, ne voulant pas s’exposer une fois encore à ces incessantes critiques, ne put éviter d’entendre des rumeurs. Tout n’était pas aussi bien géré, trop de conflits couvaient...Se tournant vers le chorégraphe anglais, il obtint une réponse brouillonne :
- Il n’y a ni problème de gestion, ni soucis de programmation. Tout va bien. David Knight a trop joué aux favoris, c’est ce qui se dit mais ça a peu d’importance. Il n’est pas irremplaçable.
- Alors, quoi ?
- Barney manque de prudence…Et on parle…
Erik n’avait pas besoin d’en entendre plus. Il lui vint à l’esprit qu’il devait se préoccuper le plus vite possible de son ami. Il alla donc voir sa secrétaire :
- Monsieur Barney est souffrant.
- Souffrant ? Ce n’est pas courant.
- Actuellement, il a quelques soucis. Il s’est déjà absenté. Son bras droit, Andrew Harper peut vous recevoir.
- Non, ce n’est pas administratif. Quand revient-il ?
- Dans trois jours au plus tôt…
- Trois jours !
La secrétaire, une femme mature et ronde, regardait Erik avec une telle vénération que celui-ci en était gêné. Il était pour elle l’incarnation de la danse classique et elle ne le quittait pas des yeux. En d’autres temps, il aurait ri sous cape mais il n’en avait pas le cœur, ce matin-là. Profitant de l’horaire matinal et d’un temps printanier assez clément, Erik décida de faire une longue marche pour aller voir son ami. Au moins marcher apaiserait-il ses craintes. Julian entrait dans une dérive lente, il l’avait constaté. Toujours soucieux de son apparence, il était néanmoins moins élégant et ne portait plus que des couleurs sombres. Il avait toujours fière allure mais ses yeux brillaient étrangement. Il avait l'air las et ailleurs. Il ne sentait jamais l'alcool, ne semblait jamais sous l'emprise de produits toxiques et ne faisait d'avance à aucun danseur. Pourtant, il riait bizarrement et affichait un évident manque de sommeil. Dans son dos, on chuchotait et si on le craignait, on le respectait moins. Il y avait David bien sûr avec lequel il avait une liaison mais il y avait surtout tous les autres. Il s’était remis en chasse comme jadis. Tout son être s'en ressentait. Son corps toujours entretenu devenait plus lascif et son regard plus prédateur et ouvertement sexuel. Evitant les environs du théâtre, il préférait des quartiers lointains ou d'autres villes. Les garçons qu'il cherchait étaient faciles à trouver. Jeunes, souvent assez beaux, ils repéraient un homme comme lui et le suivaient. Ils se passaient le mot. Cet homme altier avait des demandes sexuelles très précises, frappait et mettait en place des rituels mais il respectait les limites posées et savait donner de l'argent. Il s'adressait indifféremment à des professionnels où à de jeunes hommes démunis. Ces derniers avaient sa préférence.
Tout en se dirigeant vers Mayfair, Erik resta sur le qui-vive. Qu'il allât bien ou mal, Julian ne désertait jamais son travail. Après avoir, pendant presque quatre ans, dirigé ce théâtre sans jamais faillir, il commençait à quitter son poste. Arrivé à bon port après une très longue marche, il peina à se faire ouvrir et dut parlementer avec le concierge. Le très élégant appartement de son ami était en désordre et il le trouva vautré dans un fauteuil, une bouteille de whisky vide posé à ses pieds.
-Julian ? J’ai fait ouvrir. J’étais inquiet.
Comme son ami ne réagissait pas, il se pencha vers lui et eut un haut le corps
-Tu es blessé au visage ! Qu'est-ce que tu as ?
Le décorateur avait un œil poché et des ecchymoses sur les joues. Sa lèvre avait saigné. Il regardait fixement le danseur.
-Qu’est-ce que j’ai ? A ton avis ? A Boston, à New York, à Paris ou à Londres, ils sont les mêmes. Leurs exigences sont si simples : sexe, punition, punition, sexe, demande de pardon, sexe, punition. Pas besoin d'avoir le Nobel. J’ai eu envie de changement. En soi, ce n’est pas mal.
Erik soupira.
- J'ai cherché un joli étudiant qui n'était pas dans le circuit et bien sûr un étudiant dans le besoin. Je pensais qu'il serait d'accord...
-Laisse-moi te soigner.
- Pourquoi ?
-Julian, tu n'as plus de mémoire ? A New York il y longtemps, j'ai déliré et je t'ai atteint. Tu m'as soigné. Je viens de t'atteindre encore sans penser à te faire tout ce mal. Je me dois de rester. Je vais faire ce que je peux.
Il lui mit une compresse sur l’œil, désinfecta ses plaies et soigna sa lèvre puis il lui fit retirer quelques vêtements pour savoir s'il n'était pas blessé ailleurs. Il avait des contusions sur le torse et dans le dos. Il fit ce qu'il pouvait avec les onguents et pommades qu'il trouva.
-Tu sais...
- Non, tais-toi. Tu es blessé. Il faut t'allonger.
-Il doit avoir un peu plus de vingt ans. Quand je l'ai vu, j'ai eu comme un choc. Tu comprends ?
- Oui, je comprends. Ton œil…ne bouge pas.
-Je t'ai revu dans ce café, la toute première fois, quand tu es venu me voir pour la colocation ! Un visage si pur, une sorte de beauté dans le regard et cette façon de se tenir droit ! Je n'ai pas pu m'empêcher de l'aborder et de lui faire comprendre que j’avais de l’argent pour lui. Il m’a dit que dans ce cas, tout pouvait s'arranger. Ça n'avait pas l'air de trop lui plaire mais quand on n'a plus le choix, on consent. Je ne pouvais que l'obliger à me donner du plaisir puisque la ressemblance avec toi était si bouleversante ! Je lui ai demandé ce qu'on demande à un professionnel ou à un occasionnel, tu comprends ?