PASTEL SEC BEBE

Déconcertée par cet amour à trois qu'Erik lui a proposé, Chloé est retournée en Californie où elle s'est découverte enceinte. Elle revient à Londres et une toute petite fille  naît : Eva...Bonheur d'Erik et souffrance de Julian.

En mai 1993, quand Eva vint au monde, il y avait deux mois déjà que le ballet d’Erik avait été présenté avec succès. Le jeune chorégraphe déclara sans ambages qu’il ferait une mise en scène de l’Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel et Colette et ceci, en l’honneur de sa fille. Ni Christopher ni Julian ne l’avaient jamais entendu parler de ce ballet mais refuser était difficile. Eva et lui tissèrent très vite entre eux des liens extraordinaires. Elle naquit en Amérique et il revint de Los Angeles avec Chloé et elle. Des larmes de joie coulaient sur les joues d'Erik tandis qu'elle lui donnait un nouveau monde, un monde où il lui faudrait garder sa force et son assurance. Il serait responsable d'elle. Elle était blonde comme lui, elle avait les yeux bleus, comme lui et elle était gracieuse. Déjà elle le regardait sans fin, ses yeux dans son petit visage, paraissant immenses.  Dans le même temps, Chloé lui parut réfléchie. Elle était ferme dans son amour pour lui et convaincante. Erik n'avait jamais connu l'évidence : elle en était une. Avec elles, il avait trouvé un ancrage. Tendre, charmant, il  accepta qu’elle ne voulût pas rester en Angleterre. Chloé fut inquiète pour lui. Un homme comme Barney ne pourrait qu’être profondément humilié par cette situation et finirait par frapper Erik mais lui semblait ne rien voir et l’entourait en s'émerveillant de son enfant. Il voulait qu'Eva marche, qu'elle dise « papa ». Qu’elle ait trois ans puis quatre ans.

- Tu sais, l'amour que j'éprouve pour elle va croissant. Elle est devenue la créature la plus merveilleuse de sa vie. Je sais qu'elle m'adore. Je suis le jeune-dieu-père. Je crains souvent de ne pas résister à sa beauté car elle a des boucles blondes et un visage très rond qui m'émerveillent .Je voudrais, je voudrais que plus tard tu puisses lui dire comment j'ai su danser...

-Tu ne pourras pas lui dire toi-même ?

- Ah si...

Il avait l'air ailleurs. Mais sur une photo prise quand elle avait six mois, il avait l'air prodigieusement heureux auprès de sa jolie compagne blonde et d'une toute petite fille...

Julian qui affichait toujours sa liaison avec David Knight, un très jeune danseur, souffrait atrocement et s’en ouvrit à Erik.

- Cette enfant est ma punition, hein, c’est cela ? Je fais partie de ta vie depuis longtemps et je me soucie de toi. Que fais-tu sinon me rejeter ?  Petit égoïste ! Menteur ! Je t'ai trouvé toi et crois-moi, je sais qui tu es ! Tu te mets à rechercher un idéal féminin et une paternité idéale, tu les trouves et tu me nargues !

Il vit paraître fugacement sur le visage du danseur une expression peinée et renchérit :

- Allez, ne te gêne pas. Dis-moi que tu comprends parfaitement mon malaise !

Le danseur fit profil bas.

- Pourquoi devrais-je te dire une chose pareille !

- Car ils sont ravis, ils sont tous ravis ! Ton père et ta mère exultent, tes sœurs se démultiplient et je ne parle pas de l’engouement que cette naissance suscite au théâtre. Ma secrétaire elle-même s’est fendue d’un petit manteau d’enfant. Qui a pu rester en arrière à part moi ?

Comme ce jeune croisé auquel il avait si souvent ressemblé, Erik restait plein de foi.

- Je sais, je comprendre que tu sois heurté mais écoute…

- Ah non, pas ce langage ! Je ne veux pas de ta sollicitude.

- Bien, alors, voilà ce que je pense. Tous les trois, nous avons décidé de travailler ensemble dans ce théâtre. Je l’ai fait concrètement avec Christopher mais avec toi, pas encore. Nous devrions le faire. Nous allons du reste le faire. Tu sortiras de ton rôle administratif, tu seras sur scène pour les décors, les costumes…

- Ah vraiment ?

- Oui et tu verras, ce sera bien.

- Et ça me fera oublier ce que tu as fait ?

- Oui. Ce sera bien.