Un film, en 1980, raconte une partie de la vie de Nijinsky. Produit par la Paramount, il est réalisé par Herbert Ross. Un jeune danseur, George de La Pena, interprète Nijinsky tandis qu'Alan Bates joue Serge Diaghilev. Leslie Browne, qui était ballerine avant d'être actrice, joue le rôle de Romola de Pulszky, que Nijinsky épousera. L'action débute en 1912. Diaghilev, imprésario des Ballets russes, prépare avec Nijinsky, la chorégraphie de "L'Après-midi d'un faune". Fokine, comprend bien l'ambition de Diaghilev : Nijinsky doit maintenant chorégraphier. Or, ce ballet devait lui revenir car il en avait déjà l'argument en tête et avait fait des recherches en ce sens ! Très bien formé, Fokine domine alors les Ballets russes. Il est choqué de ne pas être sollicité. Au terme de discussions houleuses, il est renvoyé. L'objectif de Diaghilev est de faire de Nijinsky l'idole absolue des Ballets russes. Idole, le danseur russe, l'est déjà. Le film le montre très bien notamment dans une séquence consacrée au "Spectre de la rose" où l'on assiste au fameux saut du faune, que la légende a permis de conserver. Il est un danseurs hors-norme, adoré à l'égal d'un dieu. Mais créateur de ballets, il ne l'est pas. Diaghilev, qui croit en lui, veut faire de lui le chorégraphe principal des Ballets russes. Contrairement à Fokine, qui restait traditionnel dans ses vues, Nijinsky sera novateur !
Or, cette tâche est écrasante pour Nijinsky. Grand danseur, le jeune homme a une personnalité introvertie et fragile suite à une enfance marquée par des chocs affectifs violents. Son père, danseur, a abandonné sa famille. Son frère aîné souffre de troubles psychiatriques et est interné. Il a été moqué à l'école impériale pour ne pas dire persécuté. Lui donner la double charge de danseur vedette et de chorégraphe principal peut être écrasant...
Néanmoins, le film le montre bien, Nijinsky fait face à la tâche harassante que lui a confiée Diaghilev. Il crée "Le Sacre du printemps" puis "Jeux". Le premier ballet déclenche un scandale mais bénéficie à long terme à la troupe et à Diaghilev. "Jeux" est mal reçu et oublié. Toutefois, Nijinsky reste créatif. Il créera d'autres ballets....
Tenu de faire des tournées avec les Ballets russes, Nijinsky part en Amérique du sud sans l'imprésario russe. Celui-ci reste en Europe car il est pris par sa lourde tâche. C'est à lui, en effet, qu'il incombe de trouver des financements pour la compagnie de ballets. Ce voyage et cette tournée tombent à propos. Les relations entre Nijinsky et Diaghilev sont de plus en plus conflictuelles car Nijinsky a compris à quel point il pouvait être à la fois créatif et novateur...Il a donc des veilleités d'indépendance...
Sur le bateau, il se rapproche de la jeune Romola de Pulszky, aristocrate hongroise, et tombe amoureux d'elle. A la vérité, Romola s'était débrouillée pour se faire engager par les Ballets russes où son manque de talent en faisait une ballerine subalterne. Les deux jeunes gens se marient très vite, dès qu'ils sont à terre. Cette union déclenche la catastrophe.
Dans le film, Diaghilev, malheureux et blessé, met fin au contrat du danseur de manière brutale. Brusquement privé de l'écrin qui le mettait en valeur tout autant que du soutien de son mentor, Nijinsky, destabilisé et inactif, commence à tomber malade. Romola, terrifiée, rencontre Diaghilev pour que celui-ci redonne à son ancien amant, la place qui était la sienne au sein des Ballets russes. Le refus de l'imprésario entraîne la déchéance du danseur qui sombre dans la folie.
A la vérité, tout spectateur un peu avisé, découvrira que la version donnée par le film est inexacte historiquement, même si elle est touchante. Dans le film, Nijinsky sombre dès que Diaghilev le rejette et Romola fait ce qu'elle peut auprès de Diaghilev, étant même prête à s'effacer pour que le danseur retrouve son équilibre.
Rejeté par les Ballets russes, Nijinsky tentera de mener une carrière par lui-même, sans y parvenir de façon satisfaisante. Ce n'est pas son génie de danseur qui est en cause mais sa fragilité et son manque de sens pratique. Il devra retravailler pour Diaghilev, avec lequel il aura, bien sûr, des rapports très différents et c'est au cours d'une tournée en Amérique du nord, qu'il commencera à manifester des troubles mentaux. De retour en Europe, il ira en Suisse sur les conseils de sa femme, car la psychiatrie y est alors avancée. Il s'apaisera sans guérir et aura une longue vie muette, une fois rédigé son magnifique "Journal". Voilà donc une version des faits assez différente...Quant à Romola, il n'est mentionné nulle part (dans ce que j'ai lu en tout cas, qu'elle ait ainsi abordé l'imprésario russe...
Inexact historiquement donc et non seulement à cause de la vie même de Nijinsky, le film a des qualités certaines. Il montre Nijinsky dansant "Le Spectre de la rose" ou "L'Après-midi d'un faune". Il le montre également tentant de transcrire par une chorégraphie l'univers musical créé par Stravinsky dans "Le Sacre du printemps".
Les acteurs sont convaincants, Alan Bates en tête. Sa composition de Serge Diaghilev est un travail d'orfèvre. Les deux comédiens-danseurs du film, George de La Pena et Leslie Browne, sont très justes. Bien sûr, George De la Pena ne ressemble pas du tout à Nijinsky mais il est gracieux et ambigu, ce qui le rend apte au rôle. Et le reste de la distribution suit. Mention spéciale pour Jeremy Irons qui campe Fokine.
Beau plastiquement, ce film est un beau voyage. Il est donc à voir, avec les limites indiquées et sans doute avec d'autres, qui ne me viennent pas à l'esprit.