4 Discussion avec un certain Nijinsky.
Le chien Tamarin a perdu son maître et le cherche. Confié à un "ami" de celui-ci, il a été abandonné au cimetière Montmartre. C'est triste mais le gardien Jacquot est là et s'occupe de Tamarin. Attendant près de la tombe d'un danseur russe célèbre, le chien découvre que celui-ci, au-delà de la mort, parle...
Jacquot, il avait un plan. Le jour, je me cachais pendant toute la durée des visites et la nuit, je déambulais. Pour éviter que je fasse attaquer par un chien qui aurait eu le dessus (ça aurait pu se trouver), il m'a montré une tombe, une sorte de caveau qui s'ouvrait par des portes sculptées. Avec mon nez, j'ouvrais ces portes et je les bloquais ensuite. Je pouvais m'allonger et être au frais jusqu'à ce qu'au matin, il vienne me délivrer. Je ne faisais pas ça tout le temps mais en cas de danger. Ça résolvait le problème de la sécurité mais me laissait incertain. Si mon maître venait à s'attarder dans le cimetière, il risquait de beaucoup se déplacer. Embusqué comme je l'étais dans des fourrés pour éviter que des visiteurs rendus inquiets par ma taille n'appellent la fourrière, j'avais une chance sur mille de l'apercevoir. Il fallait trouver autre chose.
Je me suis souvenu que dans les différents appartements où nous avions vécu, lui et moi, il avait souvent parlé d'un danseur russe enterré au cimetière Montmartre. Sa tombe, je l'avais déjà souvent vue, pour m'être promené seul ou avec d'autres chiens avant que Jacquot ne me conduise chez sa mère, mais je n'y avais pas accordé d'attention. J'étais bien bête. C'était là qu'il fallait attendre, au moins deux heures par jour et plutôt l'après-midi.
Elle était constituée d'une belle dalle de marbre noir, cette tombe et au départ, elle était sobre et jolie. Il y avait juste le nom du mort : Vaslav Nijinsky. Et ses dates de naissance et de mort. Et ça aurait été très bien si on s'était arrêté là car moi, j'aime la sobriété. Mais il y avait une sculpture assez laide pour l'accompagner. Elle représentait une sorte de clown qui faisait la grimace. Il avait l'air si triste et mécontent d'ailleurs ce clown, que je me demandais dans quel cirque il pourrait bien faire carrière ! Enfin non car là, je plaisante !
De ce Nijinsky, mon maître, le beau danseur, m'avait souvent parlé et je savais qu'il avait illuminé le monde de la danse. Depuis longtemps, il était mort mais à voir le nombre de personnes qui s'arrêtait devant sa tombe chaque jour que Dieu fait, il était clair qu'il n'était pas oublié. Qu'est-ce qu'il m'avait dit, mon tendre maître déjà ? Ah oui, qu'avant la première mondiale, il avait illuminé de grandes scènes mondiales. Il avait un charme nouveau, une sorte de force qui le rendait unique sur scène, d'autant qu'il possédait à son plus haut niveau une grâce étrange qui le rendait insurpassable. C'était un danseur très bien formé et qui avait de grandes capacités physiques mais ça ne suffisait pas, à ce qu'il me disait, pour être un grand danseur. C'était un magnifique interprète, un de ceux dont le talent est si rare qu'il confine au génie. Malheureusement, sa carrière avait été courte mais son aura était encore très puissante dans le monde de la danse. Comme vous pouvez le constater, il pouvait être très lyrique, mon maître, mais j'adorais qu'il le soit. Et de toute façon, rien de ce qu'il disait ou faisait ne me déplaisait jamais.