cERCLES NIJINSKY

Chapitre 10. Aller chercher Kyra.

Le danseur Erik anderson va chercher la fille de Nijinsky pour qu'elle assiste à une partie du tournage d'un film sur la danse. Son père, Vaslav, y fait référence

Il allait partir chercher Kyra Nijinsky et Julian se montrait intraitable :

- Non, non, tu ne conduis pas. Tu as un chauffeur de la production !

- Mais quelle idée !

- Tu pourras ainsi être plus serein avec elle.

- Je ne sais pas. Elle a peur. Tu crois que ça suffira à la rassurer ?

- C'est décidé ainsi : tu as un chauffeur.

La veille du départ, il rappela à Kyra leur rendez-vous et évoqua au téléphone des passages dont il voulait parler avec elle. Elle sembla embarrassée. Elle reculait. Erik avait vu le film dans lequel elle avait tourné et avait été consterné. On l'avait fait apparaître à l'écran assise dans une voiture de pompier dont on la faisait descendre dans un champ où évoluaient de petites danseuses en blanc qui la prenaient pour Isadora Duncan. Il ne devait sans doute pas été facile de la faire rester assise et de regarder la caméra mais le résultat était sidérant ; elle était supposée parler de Nijinsky et d'elle mais le réalisateur, dépassé par sa volubilité, semblait surtout soucieux de la faire taire. Il comptait manifestement plus sur ses comédiens, l’un jouant Diaghilev et l'autre un psychiatre suisse. Et surtout, il comptait sur le danseur étoile Patrick Dupond. Il restait un film dans le film. Un jeune réalisateur tentait de filmer Kyra Nijinsky dans un film sur Nijinsky. Erik était peiné pour elle. Quel besoin y avait-il à la filmer marchant lourdement tandis qu'elle disait trop vite des textes de son père ? Elle n'y apparaissait que corpulente et incohérente. Quelle était la nécessité de lui faire dire qu'elle adorait les œufs au plat car on lui en préparait petite fille dès qu'elle était triste ? Et de filmer de manière aussi hostile son appartement californien ? On insistait sur ses vêtements bizarres, ses grands chapeaux et ses propos aussi décousus que contradictoires : elle ne voulait plus qu'on l'embrasse, adorait l'idée d'une Venise coulant sous les eaux et emportant la tombe de Diaghilev, détestait le vendredi...Le réalisateur semblait presque lui en vouloir ! Elle paraissait être, pourtant, l'une des rares personnes de ce tournage qui ne se prenait pas au sérieux. C'était atterrant. Max Von Sidow en lecteur des textes du Journal était pontifiant, le metteur en scène très hautain et Patrick Dupont, le brillant danseur français, dépassé. Erik comprenait. Elle avait accepté un nouveau film mais les souvenirs remontaient. Allait-on de nouveau faire d'elle une créature hors de ce monde ? Il ne désarma pas, l'assura qu'il viendrait la chercher et lui envoya des fleurs. Cette fois, des orchidées. Puis il retourna à San Rafael dans une voiture avec chauffeur. Comme il roulait, l'image de Chloé s'imposa à lui. Elle souriait et il retrouva avec un plaisir infini le bel ovale de son visage, ses lèvres charnues et bien ourlées, ses grands yeux bruns et toute la beauté de son visage. Elle lui manquait. Il revit la scène du café, quand ils avaient désigné leurs cœurs en disant leurs noms et quand elle avait écrit : «Toi, Erik, danseur, film, tournage, horaires. Oui mais toi, très beau. Retard probable ». Il fut troublé physiquement quand il pensa à son corps ; la robe qu'il avait enlevée, les aréoles de ses seins majestueux, sa taille très fine et ses hanches. Et tout ce qui était là. Ma belle, ma belle, pensa- t ‘il, je te reverrai. Et il y avait cette façon de refermer ses bras sur lui, cette mansuétude rieuse, ce mélange de rouerie et de spontanéité. Cette délicieuse féminité de jeune fille. Oui, il la retrouverait. Pour cela, il devrait la chercher peut-être...