TOUT NU

La nuit, il acceptait aussi des corps à corps réguliers qui éblouissaient son amant américain habitué à des étreintes conventionnelles avec ceux qu'il admettait chez lui et à d'autres beaucoup plus violentes avec des rencontres fortuites très éloignées de son univers. Au lit, Erik que Julian avait trouvé libre et audacieux à Copenhague, était d'un naturel confondant. Il n'aimait pas les conventions, avait peu d'interdits et était très ardent, montrant une nature assez double. Il pouvait se résoudre à être sage mais n'était pas contre la perversité. Julian était stupéfait et subjugué. Ce danseur à la mise souvent sévère qu'il trouvait au sortir de longues journées de travail lisant ou consultant ses notes quand il ne se préparait pas pour le rôle qu'il allait danser le soir, était aussi cet être de la nuit qui le déshabillait et s'agenouillait pour l'exciter avec un art consommé qui en faisait l'émule des jeunes hommes parfois tarifés qu'il se plaisait à rencontrer. C'était incroyable et merveilleux. Quant à lire dans ses sentiments, le décorateur le pouvait difficilement. Le jeune homme lui faisait confiance et l'estimait. En outre, il lui était reconnaissant de l'héberger, ce qui il devait l'admettre, lui rendait facile l'arrivée aux USA. Ils avaient une intimité charnelle exceptionnelle mais en cela, ils n’étaient que des amants. Où était l'amour ? Julian le souhaitait de ce danseur auquel il ne cessait de penser et à de brefs instants il lui semblait qu'il en recevait pour être rapidement désillusionné. Cependant, il ne désarmait pas. Il avait déjà aimé et été aimé et il savait que bien souvent les sentiments de l'un ne sont pas à la mesure de l'autre mais que tout peut s'inverser et se consolider. A Londres où il avait joué pour Erik le rôle d'un amuseur mondain, il se remettait d'un amour violent et partagé et d'une rupture tonitruante. Trop de passion épuise et il avait coupé les ponts. Auparavant, plus jeune, il avait connu des années durant une situation similaire. Le danseur ne savait rien de son passé amoureux et c’était très bien ainsi. Ils avaient du temps devant eux...

Le sentant en confiance, Julian l'amena à accepter de rencontrer ses amis et ses relations. Erik avait commencé de paraître sur scène et son image se dessinait nettement : il faudrait compter avec lui. Il répétait maintenant Serenade, le second spectacle dans lequel il était programmé et qu'il avait dansé à Copenhague. Tout se stabilisait. Il commença par inviter trois couples d'amis pour un dîner exquis basé sur une cuisine américaine de terroir. Il savait recevoir. Une table splendide était dressée, tout en vaisselle luxueuse et verres de cristal. De grands bouquets de fleurs embaumaient la pièce, Julian adorant les lys et les roses, les éclairages indirects mettaient en valeur l'élégance des lieux, des meubles aux tableaux et aux miroirs ornant les murs. Le maître de maison avait des employées dont une cuisinière épisodique. Elle était merveilleuse et supervisait tout. Les autres femmes assuraient le service. Les convives que Julian présenta à Erik ne parurent pas surpris le moins du monde de le rencontrer. Un des couples s'occupait d'une galerie d'art cotée, un autre était formé de deux universitaires spécialistes d'écrivains américains dont le danseur oublia immédiatement les noms et le troisième, celui qui était formé de deux hommes, étaient des musiciens de renom. Il leur était venu aux oreilles que Julian avait désormais un compagnon magnifique. Ils venaient vérifier. Joignant à une beauté presque hiératique, une ensorcelante jeunesse et une réserve intrigante, il leur plut. Julian ne se trompait pas…

Tout avait été si informel à Londres que le danseur en fut d’abord surpris d’être convié à un repas si mondain. D’abord tenté de plaire à tous, il fut courtois, répondant gentiment aux questions posées et sollicitant habilement ses interlocuteurs sur leurs goûts et leur mode de vie. Puis, en milieu de soirée, il montra un certain désintérêt et ses yeux bleus ne firent qu’effleurer les convives tandis qu’il souriait peu. Il marquait ses distances mais on l’on complimenta quand la soirée se termina. Il était après tout européen, danois donc non-américain. A ce titre, il suscitait l’indulgence et la bienveillance. Et il était vraiment très séduisant. Les deux musiciens en restaient tout émus. Même Julian le félicita.

- Mes amis t’ont apprécié. J’en suis content.

Le demi-sourire que lui décocha Erik le fit cependant le tenir sur ses gardes.

- C’est bien, hein ?

- Oui, c’est bien. Ils sont influents. Qui sait si ça ne pourra pas te servir un de ces jours ? Mais à te voir faire la grimace, je vois que tu t’amuses de moi…

- Ils étaient tous très distingués.

- Oui, ils le sont.

- Ce n’était pas pareil à Londres.

- Je ne faisais que passer.

Le danseur paraissait irrité et son ami s’attendit à une scène :

- J’écoute tes griefs pour ce soir.

Mais Erik se mit à rire en l'entraînant dans la chambre.

- Pas de grief. Ce n’est pas mon monde, c’est tout. Tu n’es pas fatigué, j’espère ?

- Non…

Le reste se passa de mots. Nu et plein de désirs, le danseur quitta son image lointaine dont il semblait soudain se moquer pour l'enlacer et l'entraîner dans ces jeux dont jamais il ne l'aurait cru capable.

- Qui t'a appris ça ?

- Pas de question.

- Cette danseuse, ce Danois, d'autres ?

-Pas de question.