2. New York City Ballet. Premiers contacts. 

c154b25_RP2IuzXgC_G0QgA2oSqHM9wv

Dès son premier contact avec la troupe, le danseur comprit que son contrat prenait forme et qu'il n'avait pas grand-chose à craindre. Si la façade du théâtre ne le convainquait pas, l’intérieur lui parut très beau, la salle lui plut autant que la scène et il parcourut les couloirs avec bonheur avant de rejoindre la salle d’entraînement. Elle était semblable à celles qu'il avait déjà vues, vaste et claire, bardée de miroirs. Ils étaient nombreux. Il était au fond et respectait les demandes : échauffements, étirements, exercices à la barre, postures diverses. Il ne réfléchissait pas et scrutait son image comme il l'avait toujours fait. Tout était très nouveau parce qu'américain mais en dehors de cela, tout lui était déjà connu. Les répétiteurs la saluèrent de façon très formelle et les danseurs l'observèrent. Certains lui sourirent. D'autres attendirent les intercours pour lui adresser la parole. On lui fit remarquer qu'à Copenhague, on travaillait huit heures par jour environ, spectacle compris et qu'à New-York, il devrait être là dès qu'on le lui demanderait. C'était puéril puisqu'au Danemark, il travaillait sans relâche. Les premiers jours, il resta sur quant à soi, se tint à l'écart des intrigues et attendit. On lui fit de nouvelles remarques qu'il ignora sur son mutisme et son origine danoise. Était-ce une épidémie ? Peter Martins avait été un brillant premier danseur de 1970 à 1983 et sa récente nomination en tant que directeur artistique le rendait redoutable. Et il y avait Erik Bruhn, qui était une gloire au Danemark et qui maintenant dirigeait le ballet de Toronto. Et d'autres encore, moins prestigieux. Trop de Danois ? A cette attaque, Erik réagit non sans orgueil :

- Le Danemark vous envoie le meilleur !

Le danseur américain qui l'attaquait eut un haut le corps.

- Tu veux dire que tu es très bon ? On verra si tu réussis.

- Vous verrez, oui.

Le ton était donné mais Erik ne plia pas et de toute façon, les répétitions d'Orphée et Eurydice commençaient. Il était précis et lumineux et comme annoncé, brillant. Julian le sut assez vite et en fut très heureux mais il resta discret, tenant compte du caractère heurté du jeune homme. Il le trouvait souvent au travail dans l'appartement, lisant ou visionnant des vidéos et le laissait tranquille. Il était heureux quand il jouait du piano, peu de danseurs à sa connaissance en ayant une aussi bonne maîtrise. Erik, lui, était plus mesuré. Il avait conscience de sa valeur mais il était simple et toujours sur le qui-vive, ne montrant aucune fatuité. Plus calme, il redevenait curieux et rieur et tous deux marchaient beaucoup dans New York, allaient voir des films et des expositions et traînaient chez les antiquaires et les brocanteurs, une des passions de Julian.

Travaillant beaucoup, le décorateur avait besoin de dîners à l'extérieur et de soirées dans des bars élégants. Erik répondit à ses invitations sans qu'il pût démêler s'il le faisait pour ne pas le heurter ou parce que ce type de sorties l'enchantait. Il jugeait à juste titre son ami très snob et aurait certainement choisi pour lui-même des endroits bien moins en vue et plus gais, mais il pliait.