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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
21 février 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Rob Williamson. L'homme qui sait regarder.

harcourt

Erik hocha la tête ; pourquoi pas, après tout ? Le lendemain, il se rendit chez le photographe. Il habitait une petite maison élégante et fraîche ; son studio photo s'y trouvait. Rob se révéla simple et très professionnel.

-Vous connaissez les studios Harcourt ? Je les ai évoqués hier mais…

-Oui, je les connais.

-Dans votre cas, ce sera ma référence.

Il le photographia en effet comme une star des années quarante. C'était le même type d'éclairage, le même maquillage discret, le même type de vêtements, la même ambiance élégante. Rob était professionnel et précis. Il avait une façon très adroite de régler les éclairages et avait répondre à toutes les questions d'Erik sur le type d'appareil et d'objectifs utilisés, la qualité du papier pour les tirages et les possibles encadrements de telles photos. C'était magnifique et exaltant. D'autant qu'après ces photos qui cadraient son visage, il en proposa d'autres en buste ; Erik y porterait une chemise blanche avec cravate et une veste élégante. Ce fut beau aussi. Et très esthétique. Cette séance terminée, ils prirent un verre dans un petit salon. Erik demanda à voir d'autres photos noir et blanc du photographe et celui-ci lui en montra beaucoup. Le danseur reconnut quelques acteurs ou actrices devenus célèbres et des chanteurs aussi. Il dit son admiration. Rob qui faisait profil bas observait le danseur.

-Vous m’avez dit ne pas souvent poser pour des photographes mais vous venez de vous montrer habile : vous vous contrôlez très bien. Je ne photographie pas de danseur classique, vous savez. J’ai des idées reçues….

Il était en tension vers lui, Erik le sentait et cherchait comment formuler d’autres demandes. Il prit finalement son courage à deux mains.

-Je fais des photos dans un style complètement différent. Vous pourriez être très intéressé…

Le jeune homme ne put s'empêcher de sourire :

-Vous voudriez me les montrer ?

Williamson répondit d'emblée :

-Ah oui, absolument mais laissez-moi réfléchir à ce que je veux vous présenter. J’aime bien dérouter !

Erik fixa longuement ce petit homme au physique quelconque et aux cheveux gris. Il faisait partie de ces êtres qui sont sans beauté mais compensent cette absence par un charme insinuant ; ils sont doués dans un domaine précis et exploitent leurs dons. Dans leur vie professionnelle, ils sont perspicaces et dans leur vie privée, aussi habiles qu'ils le peuvent. Rob Williamson avait été marié, avait deux grands enfants et venait de perdre un compagnon qui lui avait été cher quinze ans durant. Il avait eu, tant lors de son mariage que de sa plus longue liaison, toutes sortes de partenaires et ne reniait rien. Mais cette terrible épidémie qui frappait la communauté gay des Etats-Unis le laissait exsangue. Il se sentait terrifié. Malgré tout, il cachait son désespoir sous une exquise politesse et s’enthousiasmait encore quand un jeune homme qu’il trouvait beau s’intéressait à son art et à lui.

-Voilà, j’ai travaillé sur l’étreinte amoureuse. C’est un thème exigeant qui peut favoriser l’audace mais demande une grande rigueur.

Williamson changea de pièce et gagna son bureau. Il sortit d’une étagère une grande boite blanche et étala ses photos. Elles étaient toutes noires et blanches. Aucune d'elles n'était vulgaire et aucune pornographique. Il y avait des couples hommes-femmes mais ils ne prédominaient pas. Erik regarda l'une après l'autre les photos et ne fit pas de commentaire puis il regarda alternativement Julian et Rob.

-Ils sont tous en tension.

-Ils le sont, quelle que soit la tension…

-Qu’ils veuillent s’étreindre encore ou se séparer ; qu’ils aient subi une lourde perte ou qu’ils se sentent heureux.

Erik, les yeux brillants, revint à ces images de couples qui semblaient s’aspirer ou se rejeter l’un l’autre. Certains avaient vingt ans, d’autres soixante. Quand il eut assez, il regarda Williamson et il le sentit troublé.

-Vous attendez cela de moi ? Que je pose ainsi ? Je ne peux pas, je suis seul.

-Avec moi, aujourd’hui, vous l’êtes mais pas dans la vie.

-Elle n’est pas à San Francisco.

-Posons ensemble.

-Quoi ! Avec vous ?

-Je mettrai un retardateur ; je peux aussi appeler mon assistant.

-Non, je ne veux pas.

-Beau jeune homme trop moral…

Le ton était déférent, un peu lointain et calme. Erik pensa aux très belles photos qu'il venait de voir.

-J'ai vu des couples très exposés. Vous aimez montrer que tout peut se briser…

Williamson ne s'offusqua pas :

-Tout peut renaître aussi…

Erik scruta le photographe mais ne donna pas son accord. Loin de s’en offusquer, Williamson lui sourit.

-Vous avez raison d’être réticent. Ces photos-là, justes après une série de portraits, ce serait difficile. Il manque une étape en fait. Il faudrait que vous posiez nu.

- Nu ?

-La nudité solitaire est un thème que j’affectionne. Vous ne pouvez pas le savoir car ces photos-là, je ne vous les ai pas montrées. Souhaitez-vous poser pour moi ?

-Oui. Aujourd’hui ?

-Ou demain.

-Ce serait mieux. J’aurais le temps d’y penser comme ça.

-Vous n’en avez pas besoin. Je veux dire : de penser.

 

 

 

 

 

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