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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Des fleurs pour Kyra Ninjinsky !

Elle lui adressa un sourire amusé mais distant.

-C'est très gentil mais attendez un peu ! Je prendrai toutes vos fleurs dans l'état où elles sont. Toutes celles que vous m’avez envoyées étaient parfaites, je peux faire une exception ! Dites-moi, vous êtes danseur classique ?

-Oui, madame.

-A New-York ?

-Depuis trois ans, oui. Au New York City ballet.

-Et avant ?

-Je suis Danois. J'étais dans mon pays et à Londres, un peu.

-Ah oui, le Danemark ! J’ai bien connu Irina, elle a dû vous le dire. Elle a eu une jeunesse mouvementée à l’image de la mienne et quand elle a décidé de se fixer à Copenhague, j’ai été surprise ; mais après tout, moi, je me suis bien installée aux USA ! Sa vie a très riche, c’est une femme curieuse de tout. Il y a eu deux mariages. Le second était intéressant. J’ai été ravie qu’elle reprenne contact avec moi, vraiment. Nous parlons beaucoup au téléphone, désormais. Nous nous étions devenues lointaines et vous nous réunissez. Vous êtes si charmant ! Quel âge avez-vous ?

- Vingt-sept ans.

-Si jeune et si beau… Elle vous a enseigné la danse, n’est-ce pas…

-Elle m'a donné des cours pendant deux ans. C'est grâce à elle que j'ai intégré le Ballet Royal danois.

-Elle vous a entraîné, formé...

-Oui, madame.

-J'ai connu Irina, à Londres, au Ballet Rambert. C'est une très bonne danseuse classique. Elle avait les rôles titres. Du reste, elle a eu une belle carrière. Elle était très blonde. C'était une belle jeune femme très déterminée. J'ai toujours pensé qu'elle ferait un bon professeur de danse. Elle a dû l'être avec vous, le contraire me surprendrait...

-Elle ne prenait plus qu'un élève de temps en temps quand je l'ai connue. Elle était très dure mais juste. Elle m'a énormément appris sur le plan technique mais aussi pour tout ce qui est de la grâce, de l'expressivité. Mais enfin, elle pouvait être terrible ! Et le Russe qui me donnait également des cours l'était aussi !

-Je ne sais qui est le Russe mais Irina ne se trompe pas. Terrible ? Je pense bien.

Elle eut un étrange sourire.

-Terrible...

 Il préféra ne pas aller plus avant et lui dit :

- Elle m'a donné quelque chose pour vous. Je viens de le recevoir.

- Vraiment ?

Il sortit de sa sacoche un paquet. Elle en défit l'emballage et resta silencieuse un moment. Elle reculait dans le temps, descendait dans ses souvenirs. Irina avait envoyé un album photo et une lettre. Il vit Kyra Nijinsky tourner lentement les pages de l'album. Sur son visage, parurent des sentiments contradictoires. Il les observa fugacement. Elle fut perplexe, radieuse, embarrassée puis très émue.

-Elle avait gardé ces photos ! Je me souvenais d'elles mais je les croyais perdues !

Il ne savait pas de quoi elle parlait :

-Vous voyez : d’abord, c’est Londres. Ces années- là, j’en ai un souvenir spécial ! Elle était plus jeune que moi, moins singulière mais forte, forte, une belle personnalité. Et elle aimait faire des photos : il fallait poser. Elle était très adroite avec les gens. Elle les faisait se montrer, se révéler. Je n'étais pas son seul modèle, loin de là. Il avait des comédiens, des chanteurs lyriques, des danseurs bien sûr. L'idée était de faire des photos insolites, singulières. En les regardant, on s'apercevait que l'impression qu'on avait voulu créer n'avait pas abouti et qu'on révélait de soi-même ce qu'on voulait cacher. Ça ne dit rien car vous n'avez pas idée de qui est sur ces photos mais pour moi qui les ai bien connus, je peux vous assurer que la surprise a été grande ! Elle était vraiment douée. Elle aimait choquer et moi-aussi, beaucoup. Nous avons été très liées ! Que c'est inattendu de retrouver cette période et elle !

Elle regardait les portraits avec attention. Il ne disait rien. Elle hochait la tête, paraissait dans son monde. Elle se redressa brusquement et se mit à parler russe. Elle avait les yeux baissés et il ne savait ce qu'elle disait. Sa voix, bien que basse, grondait :

- Чего она хочет? Чего он хочет? Que veut-elle ? Que veut-il ?

Il se sentit mal à l'aise d'autant que la serveuse qui posait devant eux une théière et deux tasses jetait à son interlocutrice un regard peu amène. Il attendait.

Elle tourna encore les pages de l'album, et là, elle parut interdite. Elle était changée, plus dure. Elle tenait l'album dressé non par malveillance mais par maladresse ou pudeur et il ne voyait rien. Irina avait dû se tromper. L'entretien allait mal tourner.

 Les sourcils froncés, le visage partagé entre la nostalgie et la joie, elle dit encore, comme pour elle-même :

-Alors, elle avait ça aussi. Ces photos de moi...Elles avaient celles-là !

Elle pinça les lèvres, se redressa et le regarda droit dans les yeux. De nouveau, elle parlait russe.

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28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Kyra Nijinsky évoque sa jeunesse.

Il perdait pied. Elle traduisit :

-Jeune fille, je m'habillais comme mon père, en costume et avec une cravate ! Elle avait gardé des photos ! Je ne le savais pas ou plus. Et il y a aussi des photos de moi en Faune ou en nymphe que personne ne connaît, je crois. Le reste, c'est juste elle et moi dans les rues de Londres en 1942. Elle avait juste vingt ans ! On riait ! Elle était aussi double que moi : les hommes, les femmes. Enfin vous voyez...

 Il fut sincère :

-Non, je ne vois rien. Je ne sais pas.

Elle parut radieuse :

-Alors, Irina ne fait pas fausse route ! Que vous êtes jeune ! Et si bien fait et si touchant…

Il rougit si fort qu'elle lui adressa un sourire amical :

-Bon, dites-moi, ce film ? Irina m’a parlé et vous m’avez écrit. Vous faites un film dans lequel vous vous approchez de mon père…Il entrerait dans votre vie, c’est cela ?

-C'est un postulat poétique et, quand j'ai reçu le scénario, l'idée m'a plu. Mais maintenant que je vous vois, je doute du film ! Ce que nous montrons est loin de lui et de vous. Je suis danseur. On est beaucoup à l'être et peu à être grands.  Vous dans ce film et moi qui danserais. Normalement, je dois vous convaincre...

Elle sembla n'avoir rien entendu du tout et ses grands yeux verts d'abord fixés sur lui, revint à l'album qu'elle tourna l'album vers lui. Elle dit avec enjouement :

-Regardez, regardez les photos, voyons !

Elle commença à lire la lettre tandis qu'il feuilletait lentement les pages de l'album. Elle était bébé en Autriche puis petite sur les genoux de son père. Elle était jeune fille ensuite à Paris, à Londres et ailleurs. Enfin, elle était « lui ». Surtout Lui. Jeune fille-Jeune homme. Maintien-regard. Bouche. La même. Provocation- androgénie. Évidemment. Elle voulait tellement être son père. Elle était si tendue. Le col de chemise, la cravate, le chapeau. Masculine ? Elle cachait ses seins. Sa bouche, aux belles lèvres charnues était celle d'une femme. Mais elle était « lui » ! Elle ne pouvait pas être autrement ! Comme elle avait dû l'adorer, souffrir de sa maladie, de ce qu'on faisait de sa carrière et de sa vie, de ses ballets. Mais comme elle était magnifique !

Elle dit encore et il comprit qu'elle l'avait écouté :

-Vous ne savez plus ce que vous devez faire ? C'est cela ? Demandez-le !

-Votre histoire...

 Je suis née à Vienne mais j'ai dansé à Berlin et à Londres. A Paris, j'ai pris des cours de danse à l’école de l'Opéra. Bronislava, la sœur de mon père, m'a partiellement formée. A l'âge de dix-sept ans, j'étais à Berlin et j'y étais seule.

-Votre enfance a été cosmopolite ?

-Oui, très. Mais à la différence de mon adolescence où on a attendu de moi que je sois excentrique et prenne le contre-pied de tout, j'ai été comme une petite fille bien sage. C’était cela que l’on me demandait.

Il lui dit de parler de son père quand elle était petite. Elle dit qu'il sculptait des objets en bois pour elle, de petits chevaux, des cerfs, des ours, des loups et qu'il avait transformé sa chambre d'enfant en joli univers russe, un conte de fée. Elle dit qu'il lui parlait beaucoup quand elle était petite et qu'elle le craignait car il était jeune, beau, bien vêtu et parlait fort.

-Vous savez, il disait : « ma petite Kyra, je t'aime beaucoup »

 A Saint-Moritz, en Suisse, sur le balcon de leur chalet, il se tenait devant elle pour lui apprendre à danser et il disait : « J'ai voulu apprendre la danse à ta maman mais elle s'est effrayée. Elle avait pris des leçons et avait tenté de travailler pour les Ballets russes mais, tu sais, ce n'était pas une bonne ballerine. J'ai été très précis mais elle n'a pas voulu. Elle ne voulait pas un professeur mais un mari. Mais toi, Kyra, je vais t'apprendre. Je vais être patient. Nijinsky est un homme bon. » Il s'est mis en première, en seconde, en troisième et il a dit : regarde, écoute bien ! J'essayais de faire comme lui mais ce n'était pas cela. Je recommençais. Il finissait par être sévère. « Kyra, tu n'es pas en troisième ! » ; « Kyra, ton dos ! »  Quand il voyait que je devenais triste, il faisait devant moi des figures simples et d'autres difficiles. A la fin, il me touchait la joue et disait : « Ballerine ! » J'essayais de lui sourire.

-Ses sauts dont on tant parlé, les avez-vous vus ?

-Oui, sur le balcon de la villa à Saint- Moritz, il faisait ces sauts merveilleux. Je me souviens, il semblait s'envoler. Un des sauts du Spectre de la rose ; pas le plus célèbre, bien sûr. Et une autrefois, il m'a montré un entrechat huit. Il est resté en l'air...Ensuite, il a continué. Avec moi, avec d'autres.  Vous avez bien dû voir ces photos où, devenu un vieux monsieur, il les exécute. Bien sûr, ce que j'ai vu, c'est ma vision d'enfant. Il restait extraordinaire non parce qu'il faisait pour moi mais parce qu'il était Nijinska. N'oubliez pas sa formation : l'Ecole impériale. Aujourd'hui Vaganova. Vous qui dansez à New York, vous ne sauriez sous-estimer cette école. Nijinsky, Noureev, Baryschnikov...Vous connaissez forcément les Russes, vous êtes passé par Balanchine. Les figures, les sauts, l'expressivité, le charisme : mais oui, j'ai vu cela. Nijinsky, mon père, était encore si jeune !

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Ninjinsky : marié et malade.

Erik était violemment troublé.

-Quel âge aviez-vous quand il est tombé malade ?

-J'avais six ans. Bien sûr, je n'ai pas compris. Qu'aurais-je pu comprendre ? Qu’il nous ait poussé ma mère et moi du haut d'un escalier, vous savez, ça a beaucoup de sens pour un adulte et à fortiori pour un médecin. Moi, j'ai eu peur mais j'ai continué de l'aimer. Il lui arrivait de ne plus parler du tout, de revenir trempé de pluie ou de neige de je ne sais où. Il tenait de grands discours qui contrastaient avec ses silences, mais je l'aimais. Un jour, il était incohérent. Le lendemain, il était capable de dire à un infirmier, en français : « ne me touchez pas, je vous prie. » Plus tard, bien plus tard, je me suis demandée s’il était vraiment malade mental ou si c'était son internement qui l'avait rendu ainsi. Et en fin de compte, j'ai compris qu'il était réellement malade. Schizophrène. Vous savez, j'ai été très triste.

-A cause de sa fragilité, de son hérédité, de son frère ?

-Un enfant croit toujours qu'il peut sauver son père qu'il aime...

Il se tut. Elle l'observa :

-Vous êtes comme elle a dit. Déterminé et doux.

-Non, je suis juste...

-Ne m'interrompez pas. Vous avez la douceur des forts. Ça me donne envie de vous parler. Il a essayé d'écrire et de dessiner. C'était le Journal. Il dessinait toujours des cercles, de grands yeux, des figures étranges. Mais principalement, des cercles. J'aime beaucoup ses dessins. En même temps qu'il tombait malade, il restait profond, sensuel et mystique. J'ai su très vite qu’il était mystique et depuis longtemps et vous devez l'être aussi, sans quoi vous trouveriez ses dessins effrayants ? Vous auriez raison.

-Ils sont également effrayants. 

Il lui sourit faiblement et ajouta :

-Mais parlez, madame.

-Il dessinait pour expliquer, pour repousser le Mal. C'était le dernier bastion. Il avait lu Tolstoï, Dostoïevski. Il avait peur de la guerre et de ses aigles...

Il se redressa et dit :

-Le film n'évoque pas le danseur malade. En fait il le suit dans une période limitée de sa vie. Pour moi, les questions sur sa maladie et sa mort ne sont pas bienvenues. Je suis là pour le jeune danseur et sa magnificence...

- « Le Spectre « ? « Le Faune « ? « Le Sacre » ?

-Jeux plutôt que le Sacre.

 Elle lui dit que Fokine pour « Le Spectre de la rose » avait voulu l'harmonie, que le Spectre est harmonieux et qu'il s'inscrivait dans un cercle. Elle avait compris cela de son père. Du Faune, elle dit qu'il était de nature animale, non humaine et qu'il appartenait à un âge d'or. Une autre sphère. Pas la nôtre. Son père savait. Quant à « Jeux », elle savait qu'il en était mécontent mais cela ne signifiait pas que le ballet était mauvais.

-Il passe de l'icône androgyne que Fokine met en place au jeune homme de Jeux. Il y a sa vraie silhouette. C'est lui qui est là...

-C'est cela qui vous intéresse ?

-Oui, à titre personnel. Et c'est aussi le film.

-Vous êtes donc d'accord avec les options du film ?

-Oui, car il est montré en vie. Tous ces textes, ces discours, ces documentaires sur sa tragédie...

Elle avait un accent étrange quand elle parlait. Était-ce un accent russe ou son imitation ? Nijinsky parlait et écrivait le russe et le polonais. Il écrivait mal le Français mais savait le parler et il n’avait pu le faire sans un accent particulier. Elle avait dansé elle-même et rejoint ainsi la « Ballerine » que sa grand-mère maternelle avait été, que sa tante avait été. Il le lui dit et elle parut touchée. Sa langue se délia et elle parla de sa formation de danseuse, des ballets Rambert de ses incarnations du Faune. Il lui posa des questions techniques auxquelles elle sut répondre. Elle pouvait connaître ses limites mais il était impossible de la prendre au piège pour les ballets dansés par Nijinsky.

-J'ai dansé ses rôles ! J'ai adoré le faire !

Elle semblait contente, faisait de grands gestes des bras, parlait avec passion : « Mon père », « Diaghilev », « Fokine », « chorégraphe ». Il était saisi. Il la fit parler de sa carrière de danseuse. Oui, elle avait appris la danse classique. Il lui arrivait d'aller aux entraînements en collants et longue chemise, ce qui ne correspondait pas au costume féminin.  Elle s'était produite des années durant en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis. Bronislava, la sœur de mon père, lui avait donné ses premières leçons ! Comme elle avait appris vite ! Il ne pouvait pas, lui, la lui enseigner. Elle avait suivi des cours à l'école de l'Opéra de Paris, aussi. Et elle avait dansé, peu de temps, il est vrai. Elle disait avec son accent inimitable : « J’ai interprété mon père dans Le Spectre de la rose » et plus tard, j’ai dansé dans une revue sophistiquée, Streamline, et j'ai interprété des extraits de ses plus grands rôles ! »  C’était en 1934. Elle n’avait pas fait une grande carrière, avait épousé un chef d'orchestre, s'en était séparée, avait peint, comme son père, des cercles. C'était étourdissant. Il ne cessait de l'entendre : « Mon père », « Nijinsky. »

-Vous qui aimez dessiner, vous avez représenté votre père ?

-Oui, en costume dans du Faune, du Spectre et du Sacre.

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Kyra Nijinsky. Souvenirs d'enfance.

 

Bébé, on lui avait dit qu'elle changeait, devenait confiante quand son père entrait dans la nursery. Elle faisait partie de lui. Et il était comme elle. On lui avait dit cela, et pas seulement sa mère. Elle parlait, elle parlait et elle montrait les photos. Des amies à elle avant, des photos d'elle dans différentes capitales, son père.

-Vous avez aussi écrit des poèmes ?

-Des textes ésotériques, oui. Dans la vie, je parlais de la Suisse où mon père avait été malade, de Berlin, de l'Angleterre et de Rome. Je parlais aussi de l'Italie, après mon divorce. Tout ceci était, comme vous pouvez l'imaginer, difficile. S'en prendre aux symboles et à l'au-delà peut être une façon d'affronter les « Forces de la Vie autant que celles de la Mort ». C'est pourquoi j'ai choisi d'écrire dans cette veine...

Elle ne disait toujours rien de ce qu'Irina avait écrit et il pensa que c'était peut-être juste une lettre d'introduction. Cependant, il y avait deux heures qu'il était avec elle et comme l'heure du déjeuner arrivait, il supposa qu'elle voulait prendre congé mais elle l'étonna beaucoup.

-Vous avez du temps libre, n'est-ce pas ? Alors, venez chez moi. Je vais vous montrer des photos, des textes...

Il parut stupéfait puis se souvint des consignes d'Irina : « ne lui demandez pas de se justifier et ne posez jamais deux fois la même question ! Ne l'interrompez pas. Placez vos demandes à bon escient et regardez-là. Elle vous regardera aussi même si vous en doutez et en aura appris sur vous. Quant au film, il existe. Ne le laissez pas en arrière sous couvert qu'elle vous intimide. »

-Bien. En ce cas, je vous conduis.

Elle avait un étrange regard fixe et regardait par terre puis elle le fixa et dit « oui ». L'instant d’après, elle s'était levée et il était touché. Elle n'était pas si grande. Elle portait une grande blouse sombre, une jupe longue. Il n'était pas difficile de voir qu'elle avait un buste très fort, qui avait dû étouffer sa féminité. Ce buste, ce grand visage, ce cou fort, ces grands yeux. Nijinsky. Erik sentait que jamais plus il ne vivrait cela. Cette rencontre avec cette femme secrète et, impressionnante qu'il reconduisait chez elle ! En chemin, il reprit les thèmes des fleurs :

-Elles sont fanées…Je vais en acheter d’autres …

-Je les garderai, même fanées.

-C'est une belle réponse.

 Elle avait longtemps habité Los Angeles mais résidait maintenant à San Rafael. Elle vivait dans une maison de petites dimensions qui était claire et bien aérée. Elle était seule mais prise en charge. Manifestement, on lui faisait les courses, le ménage. Rien n'était négligé ou à l'abandon. Dans le salon, où elle le reçut, elle le laissa seul pour mettre dans des vases toutes les fleurs qu'il lui avait offertes et cela prit un peu de temps.

-Prenez place, voyons !

 C'était un décor un peu standardisé, avec un grand canapé, des fauteuils confortables, une table pour recevoir la famille et une grande bibliothèque, d'autres petites tables. Il ne voyait là qu'un intérieur américain, somme toute banal mais un regard plus attentif montrait qu'elle était européenne et raffinée. Les rideaux, la teinte des murs, les grandes lampes qu'elle avait choisies et l'absence d'excès, de surcharge. Elle avait sur une sorte de dressoir, accumulé les photos de famille et celles qui ne pouvaient tenir sur le meuble, étaient encadrées. Il vit son père et sa mère très jeunes d'abord puis déjà d'un certain âge. Ils étaient tantôt ensemble, tantôt séparés. La première photo était celle du mariage. Romola, vêtue d'un tailleur blanc, portait dans ses mains un long bouquet. Elle regardait le photographe mais son visage n'était pas très visible.

28 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Kyra, Vaslav et Romola. Souvenirs.

 

Elle baissait un peu la tête et portait un petit chapeau blanc. Nijinsky était en costume et avait l'air charmant en jeune mari souriant. Il vit aussi des photos de ses parents à elle celles de deux petites filles. Elle était la plus grande et l'autre devait être Tamara, sa sœur mais aussi sa tante, Bronislava. Et bien sûr, des photos d'elle avec Romola et Vaslav, le père et la mère. Mais plus Tamara. Pour l'instant, cela restait très familial, ancré dans l'enfance. Sur un autre pan de mur, cependant, au milieu de ses dessins à elle, d'autres photos apparaissaient, toutes également encadrées. On la voyait adolescente mais bien plus sage que sur l'album d'Irina et surtout amoureuse. Elle posait près d'un homme jeune, longiligne, à l'élégant visage rusé. Le même jeune homme posait près d'un petit garçon qui devait être leur fils : Vaslav Nijinsky- Markevitch. C'était un garçonnet au visage très rond. Il souriait gentiment. Ce ne fut pas tant l'enfant qui l'intrigua sur ces photos somme toute assez convenues mais le « mari ». Dans l'album envoyé par Irina, il figurait à côté de Diaghilev. En regardant avec attention le visage d'Igor Markevitch, il fut renvoyé à celui de l'imprésario. Les goûts de Diaghilev en matière de jeunes hommes étaient connus. Il avait lu récemment qu'il les aimait très jeunes et doués. Il était amoureux des corps de danseurs mais ne dédaignait pas les autres pour peu qu’ils fussent attirants. Markevitch avait un physique plaisant. Il avait beau paraître très content auprès de ce bébé joufflu, il endossait un rôle nouveau. Le précédent était clair. Il avait plu à Diaghilev et celui-ci l’avait formé. Il adorait le faire. Oui, c'était cela. Ukrainien d’origine aristocratique, il avait appris tout jeune le piano dont il était virtuose, la direction d'orchestre et plus tard, la composition. Il avait rencontré Diaghilev en 1928. « L'homme terrible » était mort un an après mais Kyra était déjà dans leur sillage. Elle était tombée amoureuse et l'avait épousé, celui qui avait vénéré l’homme qui avait fait tant de mal à son père. Ils étaient allés de Paris à la Suisse, de la Suisse à l'Italie...Elle s'était mariée avec lui, le jeune compositeur dont il avait lu qu'il était, tout jeune, vaniteux, complexé mais très orgueilleux car Diaghilev lui avait fait commande d'une musique de ballet. Il était plein d'espoir et les années à venir avaient montré qu'il avait de la force et du talent. En Italie, il avait été un grand chef d'orchestre. Comme il avait dû être charmé ! La fille de Vaslav Nijinsky, rien de moins ! L’image du grand danseur russe restait très prégnante. Le mythe était construit. Kyra devait être extravagante, brillante, excessive et si semblable en visage au danseur mort à la danse !  Mariage compliqué mais petit-garçon radieux. Au moins, lui, ne sentait-il rien…

Elle revint et posa sur une petite table une vase plein de grands lys.

-Que vous inspirent toutes ces photos ?

-Je vois passer votre vie...

Elle lui montra des dessins de décor, de costumes pour les ballets qu'il évoquait : le Faune, Jeux, Le Spectre.

-Vous ne pouvez connaître tout cela.

-En effet, non.

Il regarda avec attention tout ce qu'elle lui donna à voir et répondit à ses questions. Puis, elle donna ses impressions :

-Vous savez : je suis une gardienne. Ce que je vous montre témoigne d'une époque disparue. Il y avait une effervescence extraordinaire, une sensibilité qui n'est plus palpable désormais. Le temps a passé. Je comprends que les ballets qu'a dansé mon père et ceux qu'il a créés ne peuvent qu'être montrés différemment. Seulement, c'est mon père. J'ai parfois vu fort peu de fidélité...

-Tout le monde, dans ce film, tente de présenter les ballets et les textes au plus près de lui.

-Oui, vous m'avez envoyé des notes là-dessus, une copie du scénario et des photos. Est-ce suffisant ?

-Oui.

Elle sursauta ;

-Vous semblez bien peu connaître le monde et ses travers !

-Je le connais assez pour savoir qu’on vous écoutera. Je m'y engage !

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28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Kyra et le danseur Erik.

Elle posa sur lui ses yeux verts :

-En ce cas, je vais être franche. J'ai vu des vidéos du « Spectre de la rose » tel que vous l’avez dansé. Je mentirais en vous disant que j'ai tout aimé.

Il lui front avec vaillance :

-Que dois-je faire ?

-Répétez de nouveau et vous comprendrez. Toutefois, je vais écrire ce qui me semble juste. Vous leur expliquerez. Ils n'oseront tout de même pas me mécontenter !

-Non, je ne pense pas.

Les yeux brillants, il poursuivit :

-Bien. Pourquoi ne dites-vous rien de « Jeux » ?

-Ce que vous faites est très bien. Là, je n'ai rien à dire. Et puis, je sais que vous avez insisté pour que ce ballet soit présenté à New-York et je vous en sais gré.  Je vous suis reconnaissante pour votre détermination.

-Je suis mécontent de moi sur les deux ballets que j'ai interprétés à New- York.

Elle était rusée et faisait attendre :

-Vous avez tort. Vous êtes très bien formé et votre technique est excellente. Vous êtes très expressif et vous sautez merveilleusement. Vous avez un don. C'est évident. Ils le savent à New York : vous êtes programmé, la salle est comble. Ils ne sont pas pressés de vous laisser partir. Je me trompe ?

-Non.

-Ils vous ovationnent. Ils se lèvent pour vous.

-Oui.

-Vous faites plus que les éblouir : vous les atteignez.

-Oui.

-Il ne faut pas confondre votre amour pour la danse et votre grâce infinie avec les errances dans lesquelles on peut vous entraîner. A votre égard, je ne parlerais pas de « talent ». Irina n'aurait pas pris la peine de vous consacrer tant de temps s'il avait été question de « talent ». Vous avez réussi à imposer « Jeux » au Ballet de New York qui n'en voulait pas. Vous êtes au centre du film. Parlez-leur et vous verrez ce que vous obtiendrez.

Il hocha la tête et la vit se lever. Elle réalisait soudain qu'elle ne lui avait rien proposé à boire ni à manger et s'affairait, lui apportant du café et des sandwiches. Elle ne mangeait rien elle-même et allait et venait, un peu lourdement dans le salon tandis qu'il l'observait. Puis, quand il eut fini, elle débarrassa, partit chercher des documents dans une pièce et revint vers lui. Elle lui tendit une photo :

-Tenez.

C'était son père dans un costume oriental raffiné. Allongé, il posait dans une pose alambiquée : les mains sur le sol, le dos tendu et une jambe passant par-dessus l'autre. Son long et étrange visage fardé était surmonté d'une petite calotte orientale ornée de rubans. Erik le reconnaissait : c’était l’envoutant danseur des Danses siamoises. La photo datait de 1910. Ce qui frappait évidemment, c'était la force physique du danseur et l'expression résolument séductrice du regard. Viril et féminin, masculin et efféminé. Russe et oriental. Terriblement exotique pour l’Europe. On avait parlé ainsi de Nijinsky mais qu’avait- on dit ? Qu’il était un jeune prince, un jeune dieu ? Il l’était oui, dans un costume orné de pierreries que n’aurait désavoué aucun prince indien musulman ou hindouiste. Baskt avait dû le créer pour lui, comme il l’avait fait pour d’autres danseurs des Ballets russes et tout était luxueux et coloré. Mais il y avait un décalage : ce costume princier, ce visage changé en masque et ce regard aussi brûlant qu’inquiet…

Il fut silencieux un long moment, la photo dans les mains puis il redressa la tête et il eut un mouvement pour mettre ses cheveux en arrière qui la laissa surprise et presque rieuse. Elle voulait de lui quelque chose qui était dans la photo, il le sentait bien mais c'était à venir car ils se verraient à Los Angeles. Ses grands  yeux verts étaient centrés sur lui :

-Certainement un bon" Spectre de la Rose" et un bon" Faune". Il faudra voir ! Pour "Jeux", je sais.

Mais elle le dit en russe et ne traduisit pas. Il voulait parler des merveilleux costumes des Ballets russes, des décors sur lesquels elle savait tout et de ce que son père avait tenté de dire mais elle l'interrompit :

-Je vous laisse ce carnet. Vous le regarderez. Les textes sont quelquefois en russe. Faites-les traduire. Les autres sont en anglais.

-C'est un prêt très précieux. Toutefois, nous n'avons pas parlé des textes du Journal qui ont été choisis pour le film et des textes qui sont des montages.

-Non, mais vous saurez faire.

 L'un et l'autre étaient las maintenant. Très ému et très déférent, il lui prit une main et l'embrassa. Elle le salua et le raccompagna à la porte mais comme il se retournait pour lui sourire, elle sembla se replier sur elle-même. Certainement, elle viendrait. Elle lui avait donné son accord. Cependant, il le comprit, ce serait difficile. Elle ne voulait pas un danseur si impeccable soit-il ; elle voulait son père. Elle voulait Nijinsky. Elle serait impérieuse et toujours en désaccord.

Il commença à rouler en tentant de s'apaiser mais le doute l'assaillit. Qui regarderait vraiment une personne telle que Kyra Nijinsky ? Qui se préoccuperait de ses intentions profondes ? On attendait qu'elle soit une bonne caution comme on attendait de lui qu'il soit le beau danseur danois qu'on applaudissait à New-York et qui, malgré son succès et son charisme, décidait de faire un film difficile. Ils n'étaient pas là pour changer leur vision. Mais il y avait cette photo extraordinaire, il y avait ce carnet, il y avait cette femme aux yeux verts et cette photo du danseur. Il ne lui restait qu'une seule chose à faire : suivre à la lettre ce qu'elle lui avait dit et ne pas la décevoir...

Il téléphona à Mills que tout allait bien mais qu'il ne rentrerait pas tout de suite. Il devait faire une pause, réfléchir.  Il chercha un joli hôtel en bord de mer. Le Pacifique ! Il était encore assez tôt pour acheter un maillot de bain. L'été brillait. Il s'enfonça dans les vagues et nagea longtemps. Puis il dîna et but du vin blanc. Il respirait calmement et restait en silence.

A Christopher, un peu inquiet, qu’il rappela, il dit :

-C'était incroyable mais il faut que je sois seul, un peu.

-Tout va bien, tu es sûr ?

-Oui, je t'assure. J’ai juste besoin de réfléchir.

Ereinté et confus, il tomba dans un sommeil turbulent. Au matin, il était toujours aussi tendu de nouveau puis il décida de ne plus l'être et s'étira.

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Chloé: la rencontre foudroyante.

 

3. Erik en tournage. Rencontrer Chloé.

Erik tourne un film sur Nijinsky. Il vient de rencontrer l'une de ses filles, Kyra, qui doit venir sur le tournage. Brusquement, il rencontre une jeune fille, Chloé.

Au matin, toute angoisse avait disparu.  Il reprit la route. L'aube était belle. Plus rose que verte au bord de l'océan. Il se sentit comme grisé et plusieurs fois, il fut submergé par une émotion si intense qu'il se demanda s'il ne devait pas s'arrêter là, descendre une petite côte, rejoindre une plage et nager à n'en plus finir. Elle, cette femme, lui avait donné la belle énergie du Faune, après tout et il se sentait ivre de lui-même et du Danseur. L'eau scintillait et il décida de ne pas renoncer. Il se gara. L'océan bruissait et il dévala une pente sableuse avant de rejoindre les vagues douces. La marée était basse. Il n'y avait pas de courant. Il aimait la couleur de l'eau et sa tiédeur. Tout était facile. Il nagea longtemps, très longtemps, s'allongea sur la plage, ferma les yeux et s'écouta respirer puis, une autre fois, il entra dans l'eau. Il était déjà dix heures du matin, c'était un peu tard. Il y avait des promeneurs et d'autres baigneurs. L'océan n'était plus avec lui. Il s'installa à une terrasse et demanda un café. Ses cheveux étaient mouillés. Il s'était changé à l'hôtel et portait un jean et un pull bleu foncé très léger, ouvert en V. Il avait les pieds nus dans ses chaussures. La serveuse était très jeune et très jolie. Elle lui lança un regard appuyé en le servant et alors qu'il n'y avait pas encore grand monde, il la vit, amusé, déambuler de table en table et chercher le moyen de lui parler. Finalement, elle revint vers lui et lui tendit un petit morceau de papier plié en quatre. Il fronça les sourcils, eut un sourire intrigué et déplia le papier : c'était son numéro de téléphone. Il fit « non » de la tête doucement mais la fille qui était très bien faite et avait un visage radieux ne se démonta pas. Elle hocha la tête en signe que oui. Alors, il écrivit sur le morceau de papier : « Danseur. Tournage film : Los Angeles. Horaires. ». Elle pinça les lèvres, réfléchit puis écrivit : « Oui, mais toi, très beau ! Bon motif retard. » Puis elle désigna son cœur. Elle dit « Chloé ». Il ne put s'empêcher de sourire et désignant son cœur aussi, dit : « Erik ». Elle se pencha vers lui, et comme elle avait un corsage un peu ouvert, il vit mieux ses seins qui étaient lourds et denses, magnifiques. Il se sentit brusquement troublé et elle le vit. Elle écrivit : « Toi, Erik, maintenant ». Il rit encore mais elle était belle et l'excitait. Il fit un signe d'acquiescement.  Elle lui dit : « Onze heures-midi, j'ai une pause ». Elle le dévorait des yeux. Il soupira puis écrivit : « où ? ». Elle eut un sourire malicieux et lui répondit : « je viens te chercher dans vingt minutes. Tu verras où. »  Il attendit et bien sûr, elle vint. Elle portait une incroyable robe courte qui mettait en valeur ses longues jambes. Elle était très blonde et avait lâché ses cheveux. Il était content d'être là. Elle habitait à deux minutes et l'entraîna dans un petit studio. Elle ferma la porte à clé et se plaça devant lui. Il lui retira sa robe. Effectivement, ses seins étaient beaux, fermes, émouvants. Il les prit dans ses mains et les serra, ce qui la fit gémir puis s'agenouilla pour lui retirer sa culotte. Elle avait une belle cambrure et il était fier qu'elle fût à la fois si jeune et si belle. Ils s'embrassèrent longtemps et il comprit qu'il aurait pu être rapide, même expéditif sans qu'elle lui fasse le moindre reproche. Mais il prit son temps. Il la caressa longtemps à l'entrejambe à tel point qu'elle criait presque de plaisir quand enfin, il la poussa sur le lit. Il se mit à genoux et poursuivit. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas léché une femme. Dieu que c'était bon ! Elle avait un joli sexe, ses petites lèvres étaient très fines. Quand il ne la caressait pas, il regardait cette extrémité d'elle si dilatée et si humide. Au moment de la prendre, il fut timide :

-Je ne suis pas protégé, tu ne veux pas ?

Mais, elle l'attira avec une telle passion qu'il la pénétra bien plus rudement qu'il ne l'aurait voulu et s'enfonça en elle. Elle n'en parut pas du tout offusquée et lui sourit

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3.

 

Elle était vraiment belle : un beau corps bien proportionné, une peau douce et hâlée, un merveilleux visage. Elle s'accrochait à lui et avait relevé haut les cuisses ; elle était très active, très mouillée, assez technique aussi car elle savait accélérer et ralentir son plaisir. Elle le repoussait, le faisait revenir en elle. Elle le stimulait en lui parlant. Rien d'obscène. Des encouragements, des paroles douces aussi. Elle pouvait avoir vingt ans. Il la faisait gémir. Elle passait les mains dans ses cheveux, touchait son visage. Il continuait de la prendre avec émerveillement. Comment avait-il pu oublier à quel point c'était bon de faire l'amour à une femme, à quel point il pouvait s'agir de commencements. Elle n'était certainement pas une professionnelle et encore moins une fille déséquilibrée. Elle était serveuse sans qu'il sache s'il s'agissait d'une profession ou d'un job d'été. Beaucoup d'hommes devaient tourner autour d'elle et de temps en temps, elle était attirée par un garçon, faisait l'amour avec lui et n'avait pas d'état d'âme. Elle était naturelle. La sensualité chez elle l'était. Qu'elle se comportât de manière libre lui plaisait. Il se moquait des idées attendues, vivant lui-même une dualité qui lui rendait la vie passionnante. Il se préoccupait des petits cris qu'elle poussait maintenant, des halètements qu'elle avait et il la prit plus rapidement.  Elle lui répondait en lui caressant les reins et comme elle était en sueur, belle, humide et il sentait qu'il ne se contiendrait pas longtemps. Il le tenta pourtant de le faire et se redressa sur ses bras pour la pilonner autrement. Il voyait son buste ainsi et ses seins et il voyait surtout l'imminence du plaisir sur son visage. Il alla et vint encore en elle, puis se cambra. Elle cria brutalement tandis qu’il gémissait et il la sentit toute secouée de spasmes avant que lui-même ne se libère. Ils restèrent ensuite l'un contre l'autre puis se regardèrent. Des regards sans pensées. Il Resta ensuite un long moment à ses côtés, se contentant de lui caresser les seins. Elle était heureuse et très confiante et quand il se redressa, prenant conscience du temps qui passait, elle poussa un petit gémissement qui marquait sa déception. Il l'embrassa sur les lèvres et lui sourit encore. Ce fut elle qui se montra bavarde.

-Erik, vraiment tu es un bel amant !

-C'est un beau compliment !

-Tu as l'habitude qu’on t’en fasse !

-Non.

-Je ne suis pas curieuse, tu sais, mais tu es très attirant, élégant et en plus, tu n'as pas l'air d'être sot. Difficile de te croire timide et chaste.

-J’ai eu mes moments sages et d’autres agités…

Il lui sourit, prit une douche dans le minuscule studio et se rhabilla.

-Je peux rester ?

Dans les draps, elle était belle. Elle fit un signe de tête négatif :

-Malheureusement, non ; C'est une question d'horaire, dit-elle. Je travaille. Sinon, je l'aurais refait avec toi, c'est sûr. Tu as une bouche très habile. Je n'avais pas été aussi bien léchée et prise depuis longtemps et vraiment j'adorerais l'autre orifice ! Rien que d'en parler, je suis très excitée.

Il était devenu un peu distant. Elle dit :

-Oh mais peut-être que tu détestes toutes ces pratiques de sodomie. Certains hommes n'aiment pas du tout.

-Moi, j’aime.

-On dirait que ça te fait sourire !

Il ne put s'empêcher de s'amuser : elle n’avait idée de rien. Aucun Mads, aucun Julian ni la cohorte de leurs clones et suiveurs n’existaient pas pour elle…Et pourtant, chacun d’entre eux était là, si pesant…

-Oui, mais tout peut prêter à sourire ! Personnellement, Je t'aurais volontiers prise de cette façon. Je n'ai rien contre, bien au contraire. Mais, tu travailles et j'ai mon tournage.

-Ton tournage mais c'est vrai ?

-Oui.

-Et danseur ?

- Aussi. Danseur classique.

-C'est impossible ! Tu es peut- être acteur et tu fais beaucoup de sport mais danseur dans des ballets avec des tutus ! Ah non, là, je ne te crois pas ! Mais tu mens !

Cette fois, il rit plus franchement. Puis il la prit dans ses bras et la serra contre lui. Il l'embrassa sur la bouche et sur le front et quand il partit, elle lui demanda s'il avait gardé son numéro de téléphone. Il dit « oui ». Alors, elle prit un autre bout de papier et écrivit : « Erik, la prochaine fois, toi, moi, deux orgasmes. » Elle était adorable. Il se noyait dans ses yeux bleus.  Elle avait un visage très bien construit où les disharmonies mises ensemble créaient la beauté. De profil, avec son petit nez busqué, elle était mystérieuse. De face, c'était une belle Ève de la Renaissance italienne. Belle, belle. Elle le regardait avec intensité et il la trouvait adroite de n'avoir remis sur elle que sa robe moulante.

-Je dois te donner quelque chose !

-Non, Chloé ! On ne se connaît pas !

-Mais, je m'en fous de ça. Je te fais un cadeau.

Elle enroula autour de son cou un foulard indien bon marché. Il était pour lui, à cet instant, le plus merveilleux des cadeaux.

-Bleu et vert. Il va avec tes habits.

-C'est un cadeau charmant. Et tu es si belle !

-Ah non, non. Ou « juste jolie ». Mais toi, tu es...tellement mieux. Un peu trop ailleurs, j'ai eu de la chance, je crois...

- J’en ai aussi.

- On va se revoir ?

- On va se revoir.

- Pourquoi ?

- Moi Chloé, toi Erik. Je ne pourrai oublier. Je suis sûr.

-Moi-aussi.

28 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Chloé, troublante et peu oubliable.

 

Il lui dit qu'il l’appellerait et il reprit la route. Il avait ses odeurs sur lui, ses belles odeurs de femme. Elle l'avait totalement enchantée : ses beaux seins, ses longues jambes, cette bouche du haut si pulpeuse et celle du bas, plus secrète et terriblement accueillante. Rien que d'y penser, l'excitation le reprenait en entier. Elle adorait les beaux torses, les épaules fermes, les jambes musclées et les sexes bandés, cette fille et il ne lui donnait pas tort. Après tout, elle avait un joli corps fait pour l'amour. Ses belles hanches, le triangle rosé de sa chatte, sa taille fine, ses seins magnifiques et ses lèvres charnues, enfantines encore ! Une belle jeune fille sur fond de mer, une naïade...Une naïade ? Non, plutôt une nymphe. Comment ça une nymphe ?  Oui, elle était très crédible en longue tunique blanche, les cheveux tirés. Ah mais dans ce cas, alors...Une émotion violente le traversa soudain :

-Ce n'est pas possible, ça ne peut pas être vrai ! Mais c'est le Faune ! Elle avait des regards...Et les miens la soumettaient. Ce ne peut être possible ! Le Faune ! Incroyable. Comme je la regardais, comme se pliait dans l’amour et jusqu'à ce foulard. Je pourrais m'en servir pour jouir comme il fait en pensant à son corps, à ses promesses, à ses joues encore enfantines et à ses beaux regards. C'est simple. Elle m'a rendue comme lui. Enfin plutôt « Elles ». La femme aux yeux verts et l’Ève radieuse. Et Lui, car il faut le suivre.

Il ne cessa, en rentrant, de penser à l'abandon de Chloé et revit ses cuisses écartées, le triangle blond de son pubis et le dessin de ses lèvres intimes ; il revit son excitation aussi. Comme c'était bon ! Il sut qu'il la reverrait. Une prochaine fois, ils seraient nus sur une plage ou dans une forêt et ce serait aussi intense. Il lui donnerait des nouvelles.

Quand il se gara, à Corona del Mar, devant la grande villa, il était bien plus tard que prévu.  Tout le monde était là. Mills fut direct :

-Eh bien, dis-nous ce qu'il en est de Kyra Nijinsky ?

-Elle honore le rendez-vous. Elle prendra l’avion.  

-Fort bien ! Précise.

-Sans la lettre de mon professeur de danse à Copenhague et sans l'album, elle n'aurait pas accepté. Comme quoi, tout cela était judicieux.

-Que disait la lettre ?

-Je ne sais pas.

-Et l’album ?

-Ce sont des photos d'elle le plus souvent prises par Irina Nieminen, mon professeur à Copenhague mais par d'autres aussi. On la voit quand elle était petite puis jeune fille. Il y a beaucoup de photos d'elle en danseuse quand elle se produisait en Allemagne et à Londres et d'autres où elle porte ses costumes.

-« Ses » costumes ?

-Oui, elle est photographiée en spectre, en esclave, en dieu bleu : ses rôles. Et elle est photographiée en Lui. C'est à dire vêtue comme lui avec le même regard, le même visage. Celles-là sont souvent d'Irina.

-C'est sans grande importance, non ?

Erik fut interloqué. C'était une remarque naïve. Wegwood l’épaula :

-C'est une femme âgée et c'est un passé lointain. Bien que sûr que c'est important. Elle s'est revue...

Mais Mills parut méfiant :

-Probablement. Mais dis-moi, concernant le tournage ?

-Elle a lu le scénario et l'a annoté.

-Elle a compris ce qu'on voulait faire ?

Erik regarda Mills et fit un signe de tête négatif.

-C'est la fille de Nijinsky. Elle veut qu'on en tienne compte.

Mills parut stupéfait :

-Qu'on en tienne compte ? Tu m’inquiètes ! Elle est fantasque.

-Elle a le droit de les vouloir ! Quel est le sens de cette expérience sans elle ? Elle doit juste venir pour dire que tout est très bien ? C'est la fille d'un des plus grands danseurs du vingtième siècle !

Wegwood lui décocha un regard entendu : Mills commençait toujours par dire non et s'arc-bouter. Mais cette fois ci, le danseur ne temporisa pas.

-Elle est forte et cohérente. Je suis restée longtemps avec elle, d'abord dans un salon de thé et ensuite chez elle dans un appartement désuet où tout renvoie aux Ballets russes… Elle a parlé de tout, mais surtout de la danse. Elle sait ce qu'elle dit.

-Ce que tu dis me plaît, nuança Wegwood. On doit s'attendre à être bousculés. C'était quand même un enjeu de départ. Et tu as raison : c'est sa fille !

Mills resta songeur :

-Mais c'est toi que je vais surtout filmer quand elle sera là...

-Tu changeras d’avis. Tu changeras forcément d’avis !

Wegwood sourit devant l'audace et l'habileté d'Erik mais Mills faillit mal le prendre.

-Aucun dépassement de budget n’est autorisé et Baldwin me tarabuste !  Bon, toi, tu fais venir la fille de Nijinsky et tu décrètes que le film sera fort ! J’espère qu’elle ne sera pas trop difficile à manœuvrer !

De nouveau, le chorégraphe intervint :

-On paniquait parce qu’elle ne venait pas et maintenant, on redoute qu’elle vienne et perturbe tout ! Elle a un fort caractère et est respectueuse de son père ; moi, je n’ai pas d’inquiétude. Je crois qu’elle sera ravie, Erik y veillera.

Mills finit par dire :

-Bon, on va faire confiance puisqu’Erik semble avoir faire de multiples conquêtes en Californie ! Je n’avais pas pensé à mademoiselle Nijinsky mais pourquoi pas !

La remarque amusa le danseur qui se mit à rire. On prit un verre et on se sépara.

Dans les jours qui suivirent, Erik eut Julian au téléphone. Il lui parut enjoué, comme si l’agressivité dont le danseur avait preuve à son égard et la façon dont il lui avait répondu n’étaient plus que de lointains souvenirs.

-Mademoiselle Nijinsky a fait ta conquête : j’ai reçu ta lettre !

-J’ai hâte qu’elle vienne sur le tournage.

26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Erik, Julian, le film et les questions.

 

Julian était sagace. Cette fois, la voix d’Erik était différente. Elle n’était pas « invitante ». Il n’était donc plus question d’un voyage en Californie ? Ce danseur restait si versatile ! Il décida de le surprendre et il lui annonça une nouvelle déconcertante.

-Pour ce tournage, je continuerai de te soutenir. Appelle-moi dès que tu le souhaites et écris-moi. Pour le reste, je dois te faire un aveu : je connais un acteur depuis quelques temps. Il fait du théâtre. Il me plaît et c’est réciproque. Je t’avoue que je suis heureux, ça se concrétise !

-C’est bien ! Très bien même ! Je suis content pour toi.

-Et toi ?

-Je travaille.

Erik se mentait : il faisait mine de congratuler son ancien compagnon mais paradoxalement, il était sincèrement contrarié. Julian et lui s’étaient montrés sauvages l’un avec l’autre mais ils s’étaient aussi aimés et compris.

-Il n’y a personne qui t’attire ?

-Non.

-Tu peux avoir une aventure.

-Je n’y pense pas.

-Tu devrais…

Il mentait encore. Julian le salua. Leur liaison était défaite mais il restait ce lien incompréhensible. Il tenta de se secouer :

-Mais je suis idiot ! J’ai fait la belle rencontre d'une jeune fille et j’en reste très ému ? Je me suis laissé guider par la beauté d'un corps et d’un sourire et j’en reste bouleversé !  C’est convaincant. Il est préférable après tout qu’à New York, Julian soit tombé amoureux. Et c’est mieux de ne rien avoir dit.

Préférable ? Était-sûr ? Mais bientôt, il pensa à la beauté physique de Chloé et se mit à sourire.

 

Les premiers jours passés dans cette grande demeure au caractère dépaysant et l’imminence du tournage montraient déjà qu’Erik était à sa juste place et s’en tirait bien.  Le reste, si reste il y avait, pouvait attendre. Toutefois, il était désireux de parler et Christopher Wegwood lui parut être la bonne personne.

-J'ai passé près de huit heures avec Kyra Nijinsky et c'est une des journées les plus importantes de ma vie.

-C’est ce qui m’a semblé.

-Elle viendra. Elle est tout ce qu’Irina a dit. Elle est un témoignage…Elle veut toujours être lui. Elle m’a fasciné.

-Son impact sur le film sera décisif, tu le sais comme moi.

-J’en suis sûr ; en même temps, elle est si forte ! Elle risque de me contraindre, de me transformer…

-Erik, là, je ne peux pas te suivre.

Ils étaient sur la terrasse de la villa où logeaient les danseurs, mais le danseur voulut continuer leurs échanges dans sa chambre. Des livres et des revues étaient empilés sur un bureau et au mur étaient collées toutes sortes de fiches portant sur le grand danseur et son époque. Un album empli de photos de Nijinsky aux temps des Ballets russes était ouvert à la page du Faune et des chaussons de danse étaient posés sur une tablette. Pas n'importe lesquels non, de ces chaussons sur mesure que les grands danseurs recherchent. Il y avait deux grands miroirs et un lit qui n'était pas fait. Manifestement, Erik travaillait avec acharnement et restait humble.

-Erik, les questions que tu te poses reçoivent-elles des réponses ?

-Elles sont partielles mais heureusement, on m’aide. Il y a d’abord une finlandaise qui m’a formé jadis. Elle connaît la fille de Nijinsky et elle est un bon guide ; et à New York, j’ai un ami qui travaille pour l’Opéra. Lui-aussi a un grand savoir sur cette période.

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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
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