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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
28 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Kyra, Vaslav et Romola. Souvenirs.

 

Elle baissait un peu la tête et portait un petit chapeau blanc. Nijinsky était en costume et avait l'air charmant en jeune mari souriant. Il vit aussi des photos de ses parents à elle celles de deux petites filles. Elle était la plus grande et l'autre devait être Tamara, sa sœur mais aussi sa tante, Bronislava. Et bien sûr, des photos d'elle avec Romola et Vaslav, le père et la mère. Mais plus Tamara. Pour l'instant, cela restait très familial, ancré dans l'enfance. Sur un autre pan de mur, cependant, au milieu de ses dessins à elle, d'autres photos apparaissaient, toutes également encadrées. On la voyait adolescente mais bien plus sage que sur l'album d'Irina et surtout amoureuse. Elle posait près d'un homme jeune, longiligne, à l'élégant visage rusé. Le même jeune homme posait près d'un petit garçon qui devait être leur fils : Vaslav Nijinsky- Markevitch. C'était un garçonnet au visage très rond. Il souriait gentiment. Ce ne fut pas tant l'enfant qui l'intrigua sur ces photos somme toute assez convenues mais le « mari ». Dans l'album envoyé par Irina, il figurait à côté de Diaghilev. En regardant avec attention le visage d'Igor Markevitch, il fut renvoyé à celui de l'imprésario. Les goûts de Diaghilev en matière de jeunes hommes étaient connus. Il avait lu récemment qu'il les aimait très jeunes et doués. Il était amoureux des corps de danseurs mais ne dédaignait pas les autres pour peu qu’ils fussent attirants. Markevitch avait un physique plaisant. Il avait beau paraître très content auprès de ce bébé joufflu, il endossait un rôle nouveau. Le précédent était clair. Il avait plu à Diaghilev et celui-ci l’avait formé. Il adorait le faire. Oui, c'était cela. Ukrainien d’origine aristocratique, il avait appris tout jeune le piano dont il était virtuose, la direction d'orchestre et plus tard, la composition. Il avait rencontré Diaghilev en 1928. « L'homme terrible » était mort un an après mais Kyra était déjà dans leur sillage. Elle était tombée amoureuse et l'avait épousé, celui qui avait vénéré l’homme qui avait fait tant de mal à son père. Ils étaient allés de Paris à la Suisse, de la Suisse à l'Italie...Elle s'était mariée avec lui, le jeune compositeur dont il avait lu qu'il était, tout jeune, vaniteux, complexé mais très orgueilleux car Diaghilev lui avait fait commande d'une musique de ballet. Il était plein d'espoir et les années à venir avaient montré qu'il avait de la force et du talent. En Italie, il avait été un grand chef d'orchestre. Comme il avait dû être charmé ! La fille de Vaslav Nijinsky, rien de moins ! L’image du grand danseur russe restait très prégnante. Le mythe était construit. Kyra devait être extravagante, brillante, excessive et si semblable en visage au danseur mort à la danse !  Mariage compliqué mais petit-garçon radieux. Au moins, lui, ne sentait-il rien…

Elle revint et posa sur une petite table une vase plein de grands lys.

-Que vous inspirent toutes ces photos ?

-Je vois passer votre vie...

Elle lui montra des dessins de décor, de costumes pour les ballets qu'il évoquait : le Faune, Jeux, Le Spectre.

-Vous ne pouvez connaître tout cela.

-En effet, non.

Il regarda avec attention tout ce qu'elle lui donna à voir et répondit à ses questions. Puis, elle donna ses impressions :

-Vous savez : je suis une gardienne. Ce que je vous montre témoigne d'une époque disparue. Il y avait une effervescence extraordinaire, une sensibilité qui n'est plus palpable désormais. Le temps a passé. Je comprends que les ballets qu'a dansé mon père et ceux qu'il a créés ne peuvent qu'être montrés différemment. Seulement, c'est mon père. J'ai parfois vu fort peu de fidélité...

-Tout le monde, dans ce film, tente de présenter les ballets et les textes au plus près de lui.

-Oui, vous m'avez envoyé des notes là-dessus, une copie du scénario et des photos. Est-ce suffisant ?

-Oui.

Elle sursauta ;

-Vous semblez bien peu connaître le monde et ses travers !

-Je le connais assez pour savoir qu’on vous écoutera. Je m'y engage !

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