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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
15 avril 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 2. Clive, une rencontre de hasard?

 

C'était un dix octobre, il s’en souvint longtemps et il déjeunait dans le Bronx loin des beaux quartiers dans une cafétéria bondée, proche d’une exposition qu’il voulait voir. Clive avait la quarantaine bien entamée et l’allure d’un cadre moyen fatigué.

-Il n’y a plus de place et je voudrais déjeuner. Je peux m’assoir en face de vous ?

-Bien sûr.

Il était volubile et sympathique et se retrouvant face à Erik, il fut bavard. Lui-aussi voulait voir l’exposition.

-Ce n’est pas que l’art contemporain me passionne mais j’ai une fille de quinze ans qui me reproche mon ignorance !

-Alors c’est pour cette raison que vous voulez voir toutes ces sculptures et ces tableaux !

 J’adore ma fille. Elle me rend fou, vous savez. Elle fait de la danse classique depuis trois ans. Il paraît qu’elle est douée. Ça la rend exigeante avec moi ! Vous comprenez ça, vous ?

-Je n’ai pas d’enfant.

-J’imagine bien ! Vous êtes jeune ! Vraiment ma fille et la danse classique ! Je me demande vraiment comment ça a pu germer dans sa tête !

Erik se mit à rire mais son interlocuteur parut désappointé :

-Vous vous amusez ! Vous savez, ça ne m’aide pas beaucoup !

-En fait, je suis danseur classique. C’est ma seule raison de vivre.

-Non, oh ça alors ! Vous dansez ici, à New York ?

-Oui.

-Je peux vous demander où ?

-Au New York city ballet.

-Ah mais ce n’est pas vrai ! Elle va être folle de joie ! Et vous, enfin, votre position …Je veux dire…

-Je suis étoile ; danseur soliste, si vous préférez.

-Incroyable !  Il faut qu’on parle !

-Oui mais je veux voir l’exposition…

-Ah mais bien sûr ! On peut discuter en même temps, non ?

Ils s’y rendirent. Erik fut peu sensible à ce qu’il vit, tout lui paraissant bien trop intellectuel. De toute évidence, Clive, ayant des comptes à rendre en rentrant chez lui, était très attentif à ce qu’il voyait mais en même temps, il semblait dépassé. Il regardait beaucoup Erik, avec lequel il plaisantait sur ses difficultés à appréhender l’art moderne.

-Franchement, je n’y comprends rien. Quel est le message ?

-Tout sera vendu très vite, ce sont de jeunes artistes lancés. Comprendre ? Pas vraiment.

Parallèlement, il lui lançait des appels muets qui n’étaient pas difficile à interpréter mais, restant prudent, le danseur resta très circonspect. Comme il se dirigeait vers la station de métro la plus proche, il ne fut pas surpris que Clive insistât pour qu’ils se parlent de nouveau.

-Elle s’appelle Laura. Il faudrait vraiment m’en dire plus. Par exemple, vous n’êtes pas américain, à l’origine…

-Je viens du Danemark.

-Ce qui serait bien, c’est qu’on s’appelle. Elle aura des questions quand elle saura ça.

Souriant, maladroit, Clive n’avait rien d’un homme inquiétant. Il était marié, père de famille et ne ressemblait à tous ces hommes « normaux » en milieu de vie, que l’on rencontre partout, et qui, de temps à autre, ont une aventure avec un homme jeune. Erik n’avait jamais vu Julian qu’entouré de snobs, qu’ils fussent ou non jeunes. Il ne lui vint donc aucun soupçon. Il nota le numéro de téléphone de ce vendeur de polices d’assurance et le revit quelques jours plus tard dans un restaurant chinois en compagnie d’une adolescente longiligne aux grands yeux bruns. Père et fille se ressemblaient peu physiquement mais avaient la même façon d’être paradoxale : ils pouvaient être timides à certains moments puis totalement intrusifs à d’autres.

-Dès qu’il m’a parlé de vous, j’ai compris ! J’ai su que vous étiez Erik Anderson. Je connais le nom des danseurs qui ont les rôles importants au New City ballet et vous, je vous ai vu danser une fois ! Vous êtes magnifique et les critiques sur vous sont toujours élogieuses !  Qu’est- ce que je suis contente ! Ma mère va être folle car j’étais avec elle quand je vous ai vu sur scène…

Elle était intarissable :

-Vous maîtrisez l’entrechat-huit ! J’aimerais tellement…Et vos arabesques, vos pirouettes…Vous savez, je…

Son père dut la calmer. Erik promit de leur faire avoir des places et l’euphorie régna. Quand ils se séparèrent, Erik eut la légèreté de donner à ce père de famille américain, son numéro de téléphone. Celui-ci ne tarda pas à l’appeler :

-Ecoute, dès que je t’ai vu au restaurant, ça a commencé et dans ces salles pleines de toiles et de dispositifs sonores, j’essayais de penser à l’art mais il n’y avait que le désir. Tu comprends ?

-Oui.

-Je pense à toi, moi qui suis si banal. C’est pareil pour toi, hein, tu penses à moi ?

-Un peu…

-Tu vis seul, à ce que j’ai compris et…

-Non, on ne peut pas se voir chez moi.

-Tu es méfiant, je peux comprendre mais moi, je suis marié !

-Je sais mais tu ne peux venir chez moi.

-Tu es très désirable, Erik. Laisse-moi trouver une solution…

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