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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. L'Aveu d'une attirance.

Wegwood se voulut rassurant. L'attitude de ce danseur prêtait à confusion puisqu’il paraissait tantôt embarrassé, tantôt détaché mais il était encore très jeune et n’avait jamais tourné de film.

-Tu n’es pas seul, on te soutient, tu vois. Alors qu’y a- t-il ? Tu sembles fragile tout d’un coup.

Erik, qui se surprit lui-même, entra brusquement dans le domaine des confidences.

-Je viens d’avoir une aventure avec une fille. Elle est belle, solaire, je voudrais l’aimer. Ce serait facile avec elle.

Wegwood sourit :

-Ah mais c’est très bien !

-Mais à New York, j’ai eu une liaison compliquée avec un homme.

-Elle est terminée ?

-Oui.

-Eh bien, alors ?

-Je ne sais pas trop…

-Indépendamment de ton art mais à cause de lui aussi, tu es très attirant. Je ne pense pas que ça mette autrui en danger sauf si on se trompe sur toi et qu’on confonde amour et captation. Moi, j’ai eu quelques errances puis j’ai trouvé une femme avec qui je partage beaucoup. Nous avons deux enfants. Je me suis ancré et ça me convient. Que tu attires un homme mûr ne me surprend pas. Je ne sais pas ce que tu as vécu avec lui et ça ne me regarde pas. Mais tu es jeune et en devenir : ta californienne bien faite pourrait te permettre d’être plus solide. Tu ne peux pas le savoir pour l’instant et tu ne le sauras que si tu persévères, et elle-aussi. Mais crois-moi, on peut vraiment s’épanouir avec une femme !

-Elle est très jolie. Je ne m’attendais pas….

-Tu es beau, ce n’est pas rien. Pour le reste, tu fascines les spectateurs ; tu as été choisi pour cela. Ce film peut te faire grandir, d’apprendre à accepter l’épreuve et en sortir vainqueur. Tu es face à un danseur russe qui a marqué l’histoire de la danse. Vis cela comme une exception étincelante dans l’ordinaire de ta vie enchantée !

Suffoqué, Erik regarda le chorégraphe avec curiosité.

-J’ai la force ?

-J’en suis certain ! Tu sais ce qui me fait dire ça ?  Le fait qu’un homme ou une femme puisse t’aimer mais qu’à mon sens, une femme est préférable pour toi ? C’est ce que tu es quand tu t’entraînes chaque jour et que je te vois à la barre avec les autres danseurs. Vous faites les mêmes gestes : la jambe sur la barre, le buste penché, le mouvement des bras. Les figures debout. Vous cherchez de temps en temps leurs images dans le miroir et poursuivaient. Le mouvement, la grâce, le travail. L'équilibre, le travail, la grâce. Encore. Vous vous se penchez, vous tournez sur eux-mêmes, vous sautez et vous retombez et vous recommencez Encore. Bras levés, jambes croisées, élan, saut. Encore. Tu es tout entier dans ce que tu fais et si on t’observe, on voit à quel point tu es gracieux et habité. Tu sais, je pense à un texte de la romancière française Françoise Sagan sur la danse. Elle évoque Rudolph Noureev et le texte est au singulier mais je vais le mettre au pluriel. Ça dit ceci : « Ces hommes et ces femmes à demi- nus dans leurs collants, solitaires et beaux, dressés sur la pointe de leurs pieds, et regardant dans un miroir terni, d'un regard méfiant et émerveillé, le reflet de leur Art." Toi, tu cherches ton image, on te voit la capter et je crois que ça peut rendre très amoureux un homme qui est très esthète ou une belle jeune femme ; mais crois-moi, essaie avec elle…

Erik sourit et fit oui de la tête.

Revoir Chloé était impératif car bientôt, on quitterait Corona del Mar pour Los Angeles où tout serait plus compliqué. Erik appela la jeune fille à plusieurs reprises et réussit à la convaincre. Il la verrait dans un petit hôtel, ne voulant pas lui imposer les autres. Elle le rejoignit et le charma. Elle portait une robe verte, légère, aux fines bretelles. Il la trouva conquérante et se soumit à elle avec bonheur.

-Retire tes vêtements.

Quand il le fit, elle l'observa. Elle regarda le torse à la respiration un peu hachée, les hanches étroites, la peau plus claire qui lui succédait, les jambes musclées et il lui envoya un regard approbateur.

-J'ai attendu ce moment, tu sais.

-Moi-aussi. Tu gardes ta robe ?

-Non !

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26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Erik et Chloé. Désir et amour.

 

Bientôt, elle dit à Erik de garder les yeux ouverts tandis qu'ils se rejoindraient. Elle verrait, dans le plaisir, l'éclat bleu du regard de l’amant et son expression mouvante, toute habitée par le désir. Il lui obéit un temps puis inversa leur position ; il s’allongea sur elle et sentit sous le sien ce corps racé qui lui obéissait. Il laissa s'affoler la respiration de l'amante puis il se redressa, leva une des cuisses de la jeune fille et la pénétra. La prise fut lente mais ferme. Chloe se mordit les lèvres. Elle avait presque mal. Erik lui fit l'amour le plus longtemps qu'il put et il observa, face au sien, ce visage que la recherche du plaisir rendait tantôt lisse tantôt soucieux. C'était tantôt un profil mouvant dont les contours étaient harmonieux, tantôt une face pleine aux beaux reliefs. Chloé laissait aller sa tête d'un côté et de l'autre comme pour endiguer la force du plaisir et se sentait heureuse. C'était bien plus qu'un moment de partage, c'était une acceptation profonde, la signature d'une dépendance réciproque et toute nouvelle. Bouleversés, ils s'étreignirent et s'accrochèrent l'un à l’autre puis ils se regardèrent longtemps. Erik fut le premier à parler.

-Tu sais pourquoi je voulais te voir !

-Oui.

-Je tombe amoureux.

-Moi aussi.

Erik fut alors traversé par une idée simple : il devait accepter qu’elle continue ou non de lui répondre. En l’aimant elle, il se sauvait de lui-même, il en était certain. Il espérait seulement qu’elle en aurait l’intuition. Ils se promenèrent ensuite, prirent un verre puis revinrent faire l’amour. Elle partit au matin.

C’était les derniers jours à Corona del Mar et déjà, on rangeait tout. Erik était tendu. Comme un soir, il s’endormait vite, il fit un cauchemar qui le bouleversa. Il était à New York avec Julian et ils étaient allongés l’un près de l’autre, nus mais les couvertures remontées. Malgré l'harmonie que dégageaient la vaste chambre à la décoration précieuse, la douceur des draps et la tiédeur alanguie de leurs corps, malgré l'apaisement qui venait après la jouissance, la semence, la sueur, la salive, ils n'en avaient pas assez. Se penchant vers le buste de son ami, Julian se mettait à en lécher la peau claire avant de la mordiller d'abord avec douceur. Quand il mordait plus fort, Erik gémissait et se rebellait :

-Tu me fais mal.

-Je sais. Tu aimes.

-Mais non !

-Si. Tu aimes.

Il le mordait encore et le jeune homme regimbait ; mais Julian continuait d'insulter et d'embrasser, de caresser et de pincer. Le corps d'Erik était le corps de l'amant. L'amant n'est pas fiable, il faut le corriger, il faut le réprimander pour ses manquements mais il faut l'honorer pour ce qu'il sait faire ; et de toute façon, le désir est trop fort. La prise peut se faire sans honneur. Il faut faire jouir l'amant mais il faut le priver. Il faut l'étonner et le charmer mais l'abaisser. Il faut le faire jouir et jouir de lui. Il faut l'adorer, le caresser et le malmener. Seules les punitions rendent la jouissance violente puisqu'elles sont justes, puisque l'amant a failli. Entravé, il est plus beau. Il n'est pas rebelle. Il reste l'âme et les intentions mais les liens les rendent difficiles...

Dans son rêve, Erik finissait par dire.

-Tu n’es pas réel ; je t’ai quitté et de toute façon, tu as rencontré quelqu’un d’autre !

Mais l’américain se fâchait :

-Attention Erik je ne suis pas méprisable. Je suis Ta rencontre. Tu penses que tu n’as plus rien à faire avec moi mais tu te leurres.  Un tel entrelacement, un lien si fort malgré tout et la mansuétude malgré les humiliations et les années qui, même sporadiquement, nous voient ensemble c'est bien le signe d'un amour violent.

-Trop violent en effet !

-Quelle erreur, mon amour !

Et, de nouveau, Erik, était à New York, dans la chambre de Julian. Très excité, il se laissait faire. Il écoutait ces mots qui le féminisaient, le ridiculisaient et recevait les doux sévices de son ami.

-Dis « encore ».

-Non.

-Dis « encore »

-Encore.

-Bien ! Si je te crache au visage, que diras-tu ?

-Je dirai oui

Erik eut un sourire intérieur. L'ami le battait, crachait, léchait ses crachats sur ses joues. Erik, hors de lui, crachait aussi. « Mais où prend-il ce crachat, me disais-je, d'où le fait-il remonter si lourd et blanc ? Jamais les miens n'auront l'onctuosité ni les couleurs du sien. Ils ne seront qu'une verrerie filée, transparente et fragile. » Julian avait lu Jean Genet. Blessure. Idole. Humiliation. Idole. L'ami voulait faire l'amour encore, lui relevait de nouveau les jambes pour pouvoir le prendre en voyant son visage. Il voyait les belles lèvres d'Erik, si bien ourlées, cette bouche généreuse qu'il avait et aussi, ses pommettes hautes, son regard bleu et l'implantation de ses cheveux blonds. Il les voyait dans les tressautements du plaisir. Belle idole qui appelle la jouissance, en est inondée et la donne. Un autre râle et c'était bien.

Se réveillant en sursaut, Erik cria. Cette histoire-là était finie ! Pourquoi cet horrible rêve ?

Juste avant son transfert à Los Angeles, il revit Chloé. De nouveau ils allèrent à l’hôtel mais le choisirent plus beau. Ils firent longuement l’amour puis nagèrent et dînèrent. Elle le trouva soucieux mais il s’efforça de rire beaucoup et fut tendre avec elle.

 

26 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Tournage, inquiétude et présent magnifique.

Toutefois, son inquiétude demeura. Il était toujours en relation avec Kyra Nijinsky et continuait ses envois de rose. Elle lui fit parvenir une photo de son père qui n’était pas une copie mais un original. Nijinsky dans le costume des danses siamoises. Il avait une expression extatique. Sans savoir pourquoi il agissait ainsi, Erik en fit un duplicata et le mit sous enveloppe. Il l’adressa à Julian et la posta. Quarante-huit après, il fut appelé.

-Tu as une copie, toi aussi ?

-Non, j’ai l’original. Le prince oriental des Danses siamoises.

-Parfait. Tu peux faire fortune.

-C’est un prêt.

-Qu’en sais-tu ? Je pensais à une autre photo.

-Laquelle ?

-Il est beau, allongé, alangui. Ses yeux sont fardés et il sollicite, il attend. Et ce costume qu'on devine chamarré, étincelant, malgré le noir et blanc. Il est jeune, vingt ans tout au plus et il guette l'odalisque, la préférée, la belle, celle avec laquelle, bientôt il dansera et qu'il possédera.

-Oui, je vois.

-Note que ça pourrait être toi.

En des années de travail, Julian n'avait eu en main, lui qui côtoyait des chanteurs d'opéras, des chefs d'orchestre, de grands couturiers et des peintres en vogue, une telle magnificence : une vraie photo de Nijinsky, issue d'une sphère artistique ou familiale. Diaghilev avait dû la voir. Et cet Erik lui en envoyait une copie…

-Quoi d’autre venant d’elle ?

-Un carnet. Un mélange de textes et de dessins...Certains textes sont en russe... La plupart des dessins sont de Bakst lui-même. Il dessine en fait les costumes qu'il a créés pour les Ballets russes jusqu'en 1914, les derniers étant La légende de Joseph et Papillons, deux chorégraphies de Fokine avec des musiques de Richard Strauss et Robert Schumann. On dirait un balayage de sa carrière. Il a dû lui donner le carnet et elle y a écrit ensuite, l'inverse me semblant moins probable. Si tu regardes bien les dessins tu verras aussi les costumes de Jeux. Or ils ne sont pas de Bakst. On peut être sûr qu'elle a écrit dans ce carnet mais il y a d'autres écritures. Là, c'est Bakst. Et là, c'est Nijinsky. Je suis formel. Des petites notes sous un dessin ! Regarde, ça a été découpé et collé. Il avait appris le dessin...Incroyable ?

-Surtout pour moi. Je ne sais pas ce que tu as reçu, pardon, ce qu’elle t’a prêté. Je dois me contenter de tes descriptions, n’ayant sous les yeux ni l’original ni des photocopies…

Le danseur frémit.

-Tu les verras à New York, si tu le souhaites.

-Oui, sans doute. Ce tournage ?

-Les ballets vont être filmés.

-Tout le monde t’aime ?

-Remarque étrange.

-Non, je te connais. Ils ont dû mettre la barre plus haute quand tu leur as montré ce carnet et cette photo. Et ça les a rendus encore plus pressants ! Ils attendent tant de toi !

-Tu es railleur ?

-Non. Tu n’as pas été choisi par hasard.

-Je le sais ; malgré tout, c’est difficile.

Julian changea de cap sans crier gare.

-Tu as fait une belle rencontre ?

Erik hésita un peu puis répondit :

-Oui. Une jeune femme.

-Très bien. Quand je t’ai vu avant ton départ, nous nous sommes apaisés mais enfin, il reste des souvenirs cuisants. Tu es très ambivalent…

Le danseur se mordit les lèvres : depuis quand l’ambivalence était-elle un obstacle à une attirance passionnelle ?

-Tu ne trouves pas ?

-Si.

 C’est bien que tu aies rencontré une jeune fille : tu vois, l’Amérique te réussit !  Moi, il me plait toujours.

-Mais tu es là si j’ai besoin de conseils…

-Oui.

-J’y tiens.

-Au revoir, Erik.

Erik aurait pu fort mal prendre la façon dont Julian mettait fin à leur échange, mais ce ne fut pas le cas. La nuit même, il s’endormit facilement et fit, cette fois, un rêve heureux. Le dormeur au beau visage qu’il était rejoignait le prince androgyne de la photo, qui n'avait ni son teint clair ni sa blondeur ni ses traits purs. Et, quand il se sentait proche de lui, tous deux voyaient s’ouvrir le royaume des ombres. Avant d’y pénétrer à la suite du grand danseur, Erik songeait au carnet et à la photo. De tels présents et de tels enjeu ! Devait-il les conserver ? Mais Nijinsky, qui le précédait, lui faisait signe que non. Il souriait.

Inquiet malgré tout, il se tourna vers Irina. Ne tenant pas compte du décalage horaire, il la réveilla abruptement mais elle ne lui en tint pas rigueur. Elle parut d’emblée vive d’esprit et attentive.

-Oh, Erik ! Kyra me parle de vous !

-Madame, j’ai besoin de conseils.

26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Demander conseils à Irina.

-Je suis une guerrière ; attendez-vous à être déconcerté !

-Je sais, madame, comment vous êtes. On a eu une relation très forte quand j’étais votre élève. Quelquefois, je me suis vraiment fâché et vous vous êtes adoucie. Le Russe était juste un cran au-dessous d'elle mais ça n’avait pas le même impact ! Vous étiez tout le temps en guerre mais vous êtes une guerrière paradoxale.

-Paradoxale ? Je ne comprends pas.

-Mais si, madame. Vos cours étaient chers. On a payé tout ce qu’on a pu mais à la fin, vous ne vouliez plus. Vous m’avez même payé des stages. C'était extrêmement généreux et pour moi, incompréhensible, je vous l'avoue.

-Oui, j’ai fait cela pour vous par calcul et par générosité, vous savez. Je vous ai programmé pour devenir quelqu’un ! Ce que j’ai donné, je savais pouvoir le reprendre. Vous alliez briller et j’en serais la cause avec Oleg ! Vous ne pourriez pas vous séparer de moi. Vous savez pourquoi ? Je suis l’une des Nornes. Je ne vous apprends rien, Erik : les Nornes sont des Déesses nordiques qui tissent les destinées des humains. Elles sont trois : Urd est la déesse du passé, Verdandi est celle du présent et Skuld, celle de l'avenir. Elle les réunit, en fait.

-Comment me voyez-vous ?

-Comme Balder, le plus beau des dieux, le dieu du printemps...

-Je dois me réjouir ?

-Non, Erik :  Balder est tué par Loki, le dieu du mensonge et du carnage. Vous le savez, tout est repris ou presque dans les Niebelungen...

Erik parut frappé, bouleversé mais ne dit rien. Irina reprit :

-Heureusement, tout est cyclique.

-C’est-à-dire ?

-Nous sommes des êtres de spectacle, non ? Alors, nous pouvons convoquer les mythes. Le printemps ne va pas vous quitter et tout carnage sera tenu à distance. Allons, je parle par symbole car je sais que vous les aimez. N’ai-je pas raison ?

-Si, madame.

-Dans ce cas, vous avez compris qu’avec ce film, on vous encensera mais on vous persécutera aussi. Et dans votre vie, il en ira de même. Vous faites des rencontres n’est-ce pas ! Une jeune fille ?

-Oui. Belle, fine, américaine.

-Pas juste elle ! Il y a quelqu’un d’autre.

-Oui. Il est à New York. J’ai été violent avec lui et lui avec moi.

-Il est proche de Nijinsky ?

-Il est d’une grande culture. Il connait parfaitement les Ballets russes.

-Ne vous inquiétez pas de Loki. Vous êtes Balder !

-Kyra Nijinsky le pense aussi ?

-Ah Kyra ! Ce qu’elle pense de vous ? Vous le comprendrez quand elle viendra sur votre tournage. A propos, ils sont exigeants ?

-Lui et elle ?

-Oui. Très.

-Tant mieux.

-Je ne peux pas répondre à l’un et à l’autre.

-Pensez aux mythes !

-Madame, soyez plus claire !

-Non, Erik.

Elle demeurerait sibylline sur ce sujet ; Erik préféra évoquer son tournage et le dit difficile.

-Madame, encouragez-moi !

-En ai-je besoin ? Je suis sûre que vous faites face.

Elle ne désirait pas aller plus avant et il préférait qu’elle reste laconique. Il avait peur au fond de ce qu’elle dirait.

-Nous partons. Los Angeles.

-Kyra ? Vous craignez qu’elle se dérobe ? Non, elle viendra et en pensées, je serai là.

-Merci, madame.

26 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. En tournage à Los Angeles.

4. Erik et l'équipe du film à Los Angeles

Et puis, ce fut Los Angeles ! Enfin, ils s'approchèrent de la grande ville et avec le bel élan naïf d'un Européen qui découvre l'Amérique, le danseur s'exclama !

-Le cinéma, Hollywood !

Et tous, sans savoir ce qui les attendait, furent heureux comme des enfants. On tournerait dans les studios de Burbank. C'était le nord d 'Hollywood. Baldwin travaillait pour New line cinema qui était rattaché à la Warner. Il était producteur indépendant et avait sollicité l'appui d'un grand studio. Pour que le film existe, il avait dû réunir les fonds, ce qui, pour un film aussi ambitieux et pointu que celui-là, avait dû lui demander beaucoup d'habileté et beaucoup de relations. Il est vrai que le scénario était bien ficelé et que Mills savait être convainquant.

Chloé, voulait délaisser le restaurant pour lequel elle travaillait sur la côte pour un bar à Los Angeles où elle serait serveuse. Cette ville était tentaculaire mais sa rencontre avec Erik était très récente : si elle n’était pas combattive, ils se perdraient de vue. Elle cherchait activement un emploi temporaire.

La production avait pourvu Erik d'une chambre d'hôtel et c'était le premier soir. Il marquait le début d'une longue aventure. Le tournage des ballets en costumes et dans de vrais décors allait commencer, Kyra Nijinsky était attendue, d'autres scènes allaient être tournées, entremêlant des images dans danseurs en costumes, certains textes du Journal et des réflexions des danseurs eux-mêmes. Tout cela s'avérait passionnant. De plus, le compositeur des musiques additionnelles allait croiser celui qui avait supervisé l'orchestration des morceaux de Von Weber, Debussy et Stravinsky utilisés pour le film. Grâce à Julian, Erik avait pu rencontrer des chanteurs d'opéra et des chefs d'orchestre de premier ordre mais ce tournage lui donnait l'opportunité de découvrir une infime partie de cette Mecque du cinéma. Il s'en réjouissait. Tout exalté, Erik alla retrouver Mills et Wegwood, mais une fois seul, il se sentit partagé. Il était heureux que Chloe se rapproche de lui car il la découvrirait davantage. Il voulait vraiment l’aimer davantage, mais quoi qu’il en dise, Julian, lui restait dans le cœur et cela le mettait dans l’embarras. Il pensait avoir tiré un trait.

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26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3.

Les studios de Burbank étaient aussi labyrinthiques que prévu et Erik mit un temps certain à trouver les lieux exacts du tournage. Quand ce fut fait, il prit ses marques. Mills allait filmer plusieurs grands ballets de Nijinsky ; ce serait intense. Le matin du premier filmage, Erik disparut très vite car les danseurs devaient s'échauffer. Wegwood les attendait en coulisses. Mills, le metteur en scène plutôt effacé des débuts, n'était plus le même homme. Se tenant très droit, il parlait à des techniciens avec autorité et ne faisait preuve d’aucune timidité. L’équipe qui lui faisait face réglait le son et les éclairages sans que rien ne lui échappât et quand il fut tombé d’accord avec elle, il parcourut le décor pour être sûr que rien ne manquait. Le chorégraphe et le danseur principal étaient surpris de cette transformation mais au fond, elle les rassurait : on allait filmer Le Spectre de la rose et Mills saurait faire face. Il avait exigé que la présentation du ballet fût la plus conforme possible à la première, or, il y avait longtemps qu’on ne décorait plus ainsi une scène que les costumes des danseurs avaient changé…Il vérifia une fois encore que tout était parfait puis sortit du champ. Les lumières furent réglées et les danseurs entrèrent : il voulait s’assurer qu’eux-aussi étaient parfaits.

Adélia, la petite danseuse, portait un long tutu vaporeux et Mills qui la fit tourner sur elle-même, fit un signe d’assentiment avant de regarder Erik. Celui-ci était magnifique ; il avait de quoi être saisi. Le beau visage aux traits symétriques avait une expression à la fois douce et grave que le maquillage forcé à l'extrême rendait singulier. Le teint était pâle, tout en rose et en blanc, les yeux étaient cernés de khôl et n'en paraissaient que plus bleus et les lèvres était plus rouges que roses. Ce visage pourtant couronné d'un joli casque de fleurs inspirait le respect que l'on doit à la poésie et à la beauté et nul dans l’équipe de tournage ne le prit en dérision. Ce n'était pas le visage d'un être efféminé, c'était une sorte d'apparition si délicate et en même temps si présente que tous furent violemment charmés. Erik portait le costume du jeune spectre. Des fleurs étaient peintes sur sa tenue et d'autres étaient cousues. Il avait placé sur ses bras des bracelets de fleurs et il se dégageait de cet ensemble rose et vert une harmonie totale. Il se tenait droit avec cette rigueur que la danse impose et personne ne pouvait rester indifférent face à ce corps fin mais ferme, à cette musculature de danseur qui était le fruit de longs exercices et à ce port de tête si significatif d'un être plein de distinction. Et il avait des chaussons de danse. Mills, hors champ, donnait des conseils à ce danseur à qui le monde du cinéma était inconnu. Erik les recevait avec humilité mais semblait sûr de lui. Pourtant, peu après, sa fragilité parut. Que craignait-il ? Qu'on se contentât de le prendre pour un joli jeune homme ? C'était impossible. Qu'on ne comprît pas qu'il montrait la beauté ? C'était plausible mais encore peu recevable. Alors qu'y avait-il ? Wegwood n’avait pas de réponse et se contenta de le regarder longuement. Cela parut suffire. Tandis qu'il se plaçait face à la caméra avec sa danseuse, il parut en lutte avec lui-même. Lentement l'inquiétude recula et il ne resta plus que l'esprit de la fleur, son essence, sa beauté diffuse. Il fit un signe de tête. Mills vérifia le cadrage. Seul Erik semblait lui importer. Les danseurs disparurent de nouveau. Mills voulait filmer l’intégrale d’un ballet magique : ils allaient la lui donner.

La scène était vide et peu éclairée. Il y avait deux grandes fenêtres latérales, un canapé près de la fenêtre de droite et un grand fauteuil au centre de la scène. C'était conforme à Bakst. Adelia, la ballerine entra par le côté gauche. Elle portait une longue robe de ballerine, toute blanche et un manteau mauve et blanc. Bakst toujours. Et elle avait une très jolie coiffe de dentelle. A son corsage, une rose.

26 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Gautier et Fokine.

 

 Wegwood pensa aux vers de Théophile Gautier :

Soulève ta paupière close

Qu’effleure un songe virginal ;

Je suis le spectre d’une rose

   Que tu portais hier au bal.

Tu me pris encore emperlée

Des pleurs d’argent de l’arrosoir,

Et parmi la fête étoilée

                                Tu me promenas tout le soir.     

 

Elle entra heureuse, rêveuse, traversa la scène et retira son beau manteau qu'elle posa sur le canapé puis retirant la rose de son corsage pour l'admirer et la sentir. Elle sembla défaillir à la fois par la force de ses souvenirs et à cause de la délicate odeur. Elle se souvenait tant de ce bal ! Elle se laissa aller sur le fauteuil et alanguie, s'endormit. Comme le sommeil la prenait, la rose tomba et au moment où elle touchait le sol, le Spectre parut à la fenêtre de droite, mince et radieux, les bras au-dessus de la tête et souriant, dans une belle pose attentive. L'instant d'après, il avait sauté et se rapprochait du fauteuil de la belle derrière lequel il dansa avant de décrire un cercle gracieux plein de figures et de sauts puis il sembla danser pour lui et les figures se multiplièrent. L'attention évidemment se concentrait sur lui et il occupait l'espace qu'il rendait si aérien ; puis il revint vers elle et se plaça derrière le fauteuil où il vit cette merveilleuse danse de séduction qui est particulière puisque seuls les bras dansent. C'était ce que Fokine avait fait de plus fort ! Il avait inventé la variation masculine où le danseur montrait des ports de bras jusqu'alors réservés aux ballerines. Il fallait des mouvements techniquement parfaits ni trop féminins ni trop forcés. Le buste devait se pencher d'un côté puis de l'autre et le visage devait rester radieux...Cela en réveillait la jolie dormeuse qui tendait vers le beau fantôme un de ses bras...

 

Ô toi qui de ma mort fus cause,

Sans que tu puisses le chasser

Toute la nuit mon spectre rose

A ton chevet viendra danser.

Mais ne crains rien, je ne réclame

Ni messe, ni De Profundis ;

Ce léger parfum est mon âme

       Et j’arrive du paradis.

26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Erik danse le Spectre de la rose.

Et elle se levait, il la conduisait. Elle était sur les pointes, lui, marchant près d'elle et ils dansaient ensemble mais peu de temps car ils en revenaient vite à des figures séparées, toutes jolies, toutes difficiles. Elle revenait à son fauteuil pour de nouveau s'assoupir et il venait la chercher encore. De nouveau, ces mouvements de buste et de bras et ces sourires ! Puis venait ce pas de deux célèbre dans le monde entier dont aucune reprise, si distante qu'elle se voulait de la création originale, ne pouvait faire l'économie tant il avait marqué l'histoire de la danse moderne. Ils se séparaient ensuite et il avait encore toutes sortes de figures en solo. Les sauts qu'il devait faire et qui avaient tant marqué les esprits devenaient nombreux. Il occupait toute la scène maintenant et dansait avec grâce. Il devait encore une fois revenir vers elle qui semblait le réclamer et le poursuivre et encore une fois, ils dansaient. Ils semblaient se saluer, se contempler, s'accompagner. Ils se penchaient l'un vers l'autre. Elle bondissait. Il la portait. Tous deux étaient aériens, tout en enroulement et déroulement. Puis, elle s'assit une dernière fois sur le fauteuil et brièvement, il s'agenouilla. Il ne s'agissait plus maintenant que de danser seul et c'était ces grands jetés qui étaient entrés dans l'histoire, l'ultime retour vers elle, son revirement vers la fenêtre, ce bras qu'il levait et ce grand saut vers l'infini...

 

Mon destin fut digne d’envie :

Pour avoir un trépas si beau,

Plus d’un aurait donné sa vie,

Car j’ai ta gorge pour tombeau,

Et sur l’albâtre où je repose

Un poète avec un baiser

Écrivit : « Ci-gît une rose

Que tous les rois vont jalouser »

 

Quand ils s'arrêtèrent, le silence était total et ils se regardèrent inquiets. Wedgwood, qui avait discrètement suivi le filmage, s’avança vers ses danseurs et tous les trois regardèrent Mills et l'équipe technique. Chacun d'eux savait ce qu'il avait fait mais Mills, quoique néophyte, avait ces exigences, qui étaient celles du film. Il fut clair. Il y avait longtemps qu’il voulait filmer quelque chose d'aussi beau et, en répétition, Erik et Adelia ne lui avaient pas semblé si bons. Cependant, il le leur avait déjà dit, il voulait avoir deux versions. Il verrait ce qu'il en ferait. Wegwood s'apprêta à conseiller ses danseurs et à tout recommencer après une pause qui était prévue. S’approchant d’Erik, il demeura saisi. Sur son visage, errait l'esprit de la rose, d'une manière si tendre et émouvante qu'il en fut touché. Il regarda ce visage maquillé, viril malgré les fards et rencontra son regard :

-Tu n'es pas encore parmi nous...

-Non, c'est vrai, pas encore...

-C'est le Carnet ?

-Le Carnet. Le Journal. Ses paroles. La danse...

-Et la Rose ?

-Je suis la Rose. Maintenant.

-Et tu ne peux me parler facilement...

-Non.

26 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Je suis le spectre de la rose.

 

Mills annonça la reprise. L'instant d'après, de nouveaux réglages étaient faits, puis on filma. Le jeune homme dansa de nouveau. Il fut plus fort et en même temps plus viril. Adelia eut plus de douceur. Elle garda une expression rêveuse qui suggérait l'abandon mais, quand elle imita le doux geste de se pencher vers la rose qui était à ses pieds, elle eut une intensité nouvelle. Au moment du pas de deux, ils furent plus retenus qu'abandonnés. Adelia était pourtant la même jolie rêveuse. Il était toujours aussi androgyne et troublant mais il irradiait davantage. Pourtant, le pas de deux qu'il dansa avec elle fut plus aérien. Les mouvements de bras étaient plus somptueux, les sauts plus parfaits, la sensualité et la grâce plus tangibles. Et à cela, il y avait une raison qui n’échappait à personne : il était à la fois la rose telle qu'on l'a cueillie et posée dans son corsage et il en était l’esprit qui se met à hanter de façon impérieuse une jeune fille. Ils dansaient, il tournait autour d'elle avant qu'elle ne le rejoigne. Il était tout en courbes et en même temps si ferme, si présent, si gracieux. Il était un esprit obstiné, charmant, suppliant. Il était aussi prompt à prier qu'à charmer. Il adorait autant qu'il demandait à l'être. Radieux, mouvant, il allait de l'invisible au visible avant de regagner par un saut immense dans l'infini un monde qu'elle ne connaissait pas. Et elle n'avait de cesse qu'il revienne encore. Tout le monde fut émerveillé. Il y avait ce ballet, ces thèmes du cercle, que ce soit celui du rêve, de la mort ou de l'amour. Et il y avait ce qu'il faisait naître, lui, Erik. Une beauté aussi précieuse que rare. Tout le monde sentit le changement et Mills montra cette fois sa satisfaction en regardant Adelia et Erik avec admiration. Un des techniciens se mit à applaudir et tous suivirent. Toutefois le danseur et la danseuse parurent presque timides. Cela plut. Le mystère restait entier. Ils avaient été touchés, électrisés, tous. Pourquoi sinon ? Tout avait été magnifique. L'inhabituel crée le magnifique. Pourtant, ni le spectre ni la danseuse ne disaient rien. Mills dit qu'il était très content de l'une et l'autre versions et qu'il   les utiliser de façon partielle. Il remercia brièvement Wedgwood et Adelia et se tourna vers son danseur.

-Je suis subjugué. Ces pirouettes, ces sauts, toute cette gestuelle splendide à la fois si précise et si harmonieuse étaient déjà pour moi un langage nouveau et ensorcelant à Corona del Mar ; mais là, c’est enivrant !

Malgré tout, il y avait ce corps d’Erik marqué par l'effort et ce beau masque attentif mais de cela, il ne dit rien. 

Le reste de la journée, Mills fut occupé à filmer des scènes où Erik ne figurait pas. Il fut donc libre, retourna à son hôtel et dormit. Un appel de Chloé le réveilla. Elle était déjà en pourparlers pour travailler dans un bar à L.A et selon elle, l’affaire était dans le sac. Elle avait tout de même besoin de connaître les moments de liberté d’Erik. Il les lui donna. Vibrante et enthousiaste, elle évoqua une école de dessin à New York. Il était très difficile d’y entrer et même si elle présentait un dossier convainquant, elle devrait être boursière. Elle voulait savoir ce qu’il en pensait. Il fut très enthousiaste. Oui, quel bonheur si elle venait à New York ! Il l’aiderait pour trouver un logement, se faire des amis, découvrir des bars chaleureux ou intrigants et ils pourraient se voir souvent. Ils rirent tous deux. Toutefois, même si sa joie était sincère, il ne put que se questionner quand elle eut raccroché. Si elle réussissait son pari et intégrait cette prestigieuse école, elle serait là, prêt de lui. Elle était encore subjuguée ; le resterait-elle ? Et lui ?

Le lendemain, elle confirma son transfert à Los Angeles. Il la félicita. Le même jour, il reçut une lettre de New York. Julian lui envoyait trois photos : le Spectre de la rose, l’Après-midi d’un faune, Jeux. Trois grandes interprétations du danseur russe. Il avait joint un message :

« L’ordre est correct ? Si ce n’est pas le cas, précise-le-moi. Tu n’as rien à craindre. Quand vient-elle ? Kyra Nijinsky, je veux dire. »

Il en resta tremblant et alla contempler son visage dans le miroir de la salle d’eau. Bölder…

Puis il appela. Julian parut surpris.

-Quoi ! Ces si belles photos ne suffisent-elles pas ?

-Je suis inquiet.

-Tu l’as toujours été avant d’entrer en scène. Là, c’est un film donc c’est différent : tu es encore plus en tension mais je suis sûr que tu sais où tu vas.

-Si le tournage était à New York, ce serait plus simple car…

-Non. C’est faux et tu le sais. Je comprends ce que tu essaies de me dire mais ça n’a pas de sens. Pour les prochains appels, pense au décalage horaire…

-Oh, je suis navré !

-Ne le sois pas. Je te laisse. Je ne suis pas seul.

 

21 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Erik en tournage.

 

5. Tournage à Los Angeles. Erik et Nijinsky.

Chloé, la jolie jeune fille qu'a rencontrée Erik arrive à Los Angeles pour être avec lui. Le filmage de L'Après-midi d'un faune se profile. Le danseur, pris dans un jeu d'influence, est fébrile.

Chloé était arrivée. Elle servait le soir dans un bar chic et avait trouvé aussi à promener des chiens. Elle était déterminée et savait s’y prendre pour gagner sa vie. Erik la félicita. Elle le vit davantage et continua de l’aimer. Il était blond, européen du nord et séduisant. C'était un visage qui s'accordait bien avec le monde d'aujourd'hui, celui d’un jeune artiste en quête d’idéal, certes mais déterminé et ambitieux. Il fut, de son côté, plus perplexe. De lui, elle captait la jeunesse, le charme et le pouvoir de séduction ; mais elle ne cernait le danseur. Les questions qu’elle posait sur le film manquaient de profondeur. Elle ne comprenait pas vraiment ce qu’il y faisait. Restait une attraction physique importante, une vraie rencontre émotionnelle et une grande tendresse réciproque. Dès qu’il le put, il refit l’amour avec elle. Elle était belle. Il la déshabillait. Il frôlait de ses mains, les jambes, les bras, le torse, les épaules de cette jolie fille et ne se lassait pas de la tiédeur de sa peau. Il écoutait sa respiration, sentait le sang battre à son cou et à ses tempes et usait de gestes simples et adroits pour l’exciter. Charmée, elle le laissait la prendre et se libérer en elle.

-On apprend à faire l’amour comme ça, au Danemark ?

-Je te désire.

-Oui !

Elle en était heureuse mais commençait à le trouver paradoxal. Quand il se vêtait, il était souvent tout en bleu marine comme avait pu l'être les lointains condisciples des écoles chics dans lesquelles on avait inscrit l’élite bostonienne ou newyorkaise. Il était sobre et plein de classe mais ambigu. Elle finit par le questionner :

-On tombe souvent amoureux de toi ?

-Ça arrive.

-Des ballerines ?

-Il y en a eu une méchante et une très gentille. Elle était plus âgée que moi.

-Tu n’attires pas que les femmes, n’est-ce pas ?

-Non.

Il était assis en face d’elle, dans une chambre où ils avaient fait l’amour et il le regardait.

-Tu veux en parler ?

-Non.

-Moi, je préférerais.

-Il y a mieux à faire…

Erik lui décocha un regard sans équivoque qui la troubla. Bientôt, ils se retrouvèrent l’un et l’autre dans l'abandon de l'amour physique. Elle fut lisse et doux, acceptant de son amant des caresses raffinées et lui demandant d'en inventer d'autres.

-Oh Erik ! C’est bien une fleur que tu dansais dans le film que tu tournes ! Qui pourrait voir une fleur en toi ! Tu n’es pas si féminin ! Il lui semblait à mille lieues de ce spectre qu'il avait incarnée et de toute image poétique, libre et sensuel mais il la détrompa.

-Mills veut nous filmer au maquillage et au démaquillage. En m’observant, si tu le pouvais, tu verrais peut-être paraître quelqu’un d’autre.

-Un androgyne ?

-A toi de voir…

-Si c’est le cas, ce Mills te désire !

Il rit avec sincérité.

-Non, je ne pense pas !

-Alors, ce chorégraphe que tu as mentionné ?

-Non plus. Laissons ce sujet.

Elle n’en avait pas envie.

-Un homme peut tomber amoureux de toi quand tu es ce spectre. La ballerine dort, elle, et rêve mais celui qui te convoiterait, lui, serait vigilant et actif.

Erik pensa à Julian, qui s’y souvent, l’avait vu danser, était allé dans sa loge. Actif, oui, il l’avait été. Mais l’heure n’était pas aux confidences. Plus jeune que lui, Chloé avait eu deux amourettes et des rencontres faciles avec des californiens bien faits. Ils n’avaient pas les mêmes élans…

-Nijinsky jouait beaucoup sur l’ambiguïté. Le spectre était fait pour troubler et le faune, plus encore.

Elle resta silencieuse. Quelquefois, Erik n’avait même pas besoin de répondre…

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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
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