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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
26 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Tournage, inquiétude et présent magnifique.

Toutefois, son inquiétude demeura. Il était toujours en relation avec Kyra Nijinsky et continuait ses envois de rose. Elle lui fit parvenir une photo de son père qui n’était pas une copie mais un original. Nijinsky dans le costume des danses siamoises. Il avait une expression extatique. Sans savoir pourquoi il agissait ainsi, Erik en fit un duplicata et le mit sous enveloppe. Il l’adressa à Julian et la posta. Quarante-huit après, il fut appelé.

-Tu as une copie, toi aussi ?

-Non, j’ai l’original. Le prince oriental des Danses siamoises.

-Parfait. Tu peux faire fortune.

-C’est un prêt.

-Qu’en sais-tu ? Je pensais à une autre photo.

-Laquelle ?

-Il est beau, allongé, alangui. Ses yeux sont fardés et il sollicite, il attend. Et ce costume qu'on devine chamarré, étincelant, malgré le noir et blanc. Il est jeune, vingt ans tout au plus et il guette l'odalisque, la préférée, la belle, celle avec laquelle, bientôt il dansera et qu'il possédera.

-Oui, je vois.

-Note que ça pourrait être toi.

En des années de travail, Julian n'avait eu en main, lui qui côtoyait des chanteurs d'opéras, des chefs d'orchestre, de grands couturiers et des peintres en vogue, une telle magnificence : une vraie photo de Nijinsky, issue d'une sphère artistique ou familiale. Diaghilev avait dû la voir. Et cet Erik lui en envoyait une copie…

-Quoi d’autre venant d’elle ?

-Un carnet. Un mélange de textes et de dessins...Certains textes sont en russe... La plupart des dessins sont de Bakst lui-même. Il dessine en fait les costumes qu'il a créés pour les Ballets russes jusqu'en 1914, les derniers étant La légende de Joseph et Papillons, deux chorégraphies de Fokine avec des musiques de Richard Strauss et Robert Schumann. On dirait un balayage de sa carrière. Il a dû lui donner le carnet et elle y a écrit ensuite, l'inverse me semblant moins probable. Si tu regardes bien les dessins tu verras aussi les costumes de Jeux. Or ils ne sont pas de Bakst. On peut être sûr qu'elle a écrit dans ce carnet mais il y a d'autres écritures. Là, c'est Bakst. Et là, c'est Nijinsky. Je suis formel. Des petites notes sous un dessin ! Regarde, ça a été découpé et collé. Il avait appris le dessin...Incroyable ?

-Surtout pour moi. Je ne sais pas ce que tu as reçu, pardon, ce qu’elle t’a prêté. Je dois me contenter de tes descriptions, n’ayant sous les yeux ni l’original ni des photocopies…

Le danseur frémit.

-Tu les verras à New York, si tu le souhaites.

-Oui, sans doute. Ce tournage ?

-Les ballets vont être filmés.

-Tout le monde t’aime ?

-Remarque étrange.

-Non, je te connais. Ils ont dû mettre la barre plus haute quand tu leur as montré ce carnet et cette photo. Et ça les a rendus encore plus pressants ! Ils attendent tant de toi !

-Tu es railleur ?

-Non. Tu n’as pas été choisi par hasard.

-Je le sais ; malgré tout, c’est difficile.

Julian changea de cap sans crier gare.

-Tu as fait une belle rencontre ?

Erik hésita un peu puis répondit :

-Oui. Une jeune femme.

-Très bien. Quand je t’ai vu avant ton départ, nous nous sommes apaisés mais enfin, il reste des souvenirs cuisants. Tu es très ambivalent…

Le danseur se mordit les lèvres : depuis quand l’ambivalence était-elle un obstacle à une attirance passionnelle ?

-Tu ne trouves pas ?

-Si.

 C’est bien que tu aies rencontré une jeune fille : tu vois, l’Amérique te réussit !  Moi, il me plait toujours.

-Mais tu es là si j’ai besoin de conseils…

-Oui.

-J’y tiens.

-Au revoir, Erik.

Erik aurait pu fort mal prendre la façon dont Julian mettait fin à leur échange, mais ce ne fut pas le cas. La nuit même, il s’endormit facilement et fit, cette fois, un rêve heureux. Le dormeur au beau visage qu’il était rejoignait le prince androgyne de la photo, qui n'avait ni son teint clair ni sa blondeur ni ses traits purs. Et, quand il se sentait proche de lui, tous deux voyaient s’ouvrir le royaume des ombres. Avant d’y pénétrer à la suite du grand danseur, Erik songeait au carnet et à la photo. De tels présents et de tels enjeu ! Devait-il les conserver ? Mais Nijinsky, qui le précédait, lui faisait signe que non. Il souriait.

Inquiet malgré tout, il se tourna vers Irina. Ne tenant pas compte du décalage horaire, il la réveilla abruptement mais elle ne lui en tint pas rigueur. Elle parut d’emblée vive d’esprit et attentive.

-Oh, Erik ! Kyra me parle de vous !

-Madame, j’ai besoin de conseils.

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