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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Des fleurs pour Kyra Ninjinsky !

Elle lui adressa un sourire amusé mais distant.

-C'est très gentil mais attendez un peu ! Je prendrai toutes vos fleurs dans l'état où elles sont. Toutes celles que vous m’avez envoyées étaient parfaites, je peux faire une exception ! Dites-moi, vous êtes danseur classique ?

-Oui, madame.

-A New-York ?

-Depuis trois ans, oui. Au New York City ballet.

-Et avant ?

-Je suis Danois. J'étais dans mon pays et à Londres, un peu.

-Ah oui, le Danemark ! J’ai bien connu Irina, elle a dû vous le dire. Elle a eu une jeunesse mouvementée à l’image de la mienne et quand elle a décidé de se fixer à Copenhague, j’ai été surprise ; mais après tout, moi, je me suis bien installée aux USA ! Sa vie a très riche, c’est une femme curieuse de tout. Il y a eu deux mariages. Le second était intéressant. J’ai été ravie qu’elle reprenne contact avec moi, vraiment. Nous parlons beaucoup au téléphone, désormais. Nous nous étions devenues lointaines et vous nous réunissez. Vous êtes si charmant ! Quel âge avez-vous ?

- Vingt-sept ans.

-Si jeune et si beau… Elle vous a enseigné la danse, n’est-ce pas…

-Elle m'a donné des cours pendant deux ans. C'est grâce à elle que j'ai intégré le Ballet Royal danois.

-Elle vous a entraîné, formé...

-Oui, madame.

-J'ai connu Irina, à Londres, au Ballet Rambert. C'est une très bonne danseuse classique. Elle avait les rôles titres. Du reste, elle a eu une belle carrière. Elle était très blonde. C'était une belle jeune femme très déterminée. J'ai toujours pensé qu'elle ferait un bon professeur de danse. Elle a dû l'être avec vous, le contraire me surprendrait...

-Elle ne prenait plus qu'un élève de temps en temps quand je l'ai connue. Elle était très dure mais juste. Elle m'a énormément appris sur le plan technique mais aussi pour tout ce qui est de la grâce, de l'expressivité. Mais enfin, elle pouvait être terrible ! Et le Russe qui me donnait également des cours l'était aussi !

-Je ne sais qui est le Russe mais Irina ne se trompe pas. Terrible ? Je pense bien.

Elle eut un étrange sourire.

-Terrible...

 Il préféra ne pas aller plus avant et lui dit :

- Elle m'a donné quelque chose pour vous. Je viens de le recevoir.

- Vraiment ?

Il sortit de sa sacoche un paquet. Elle en défit l'emballage et resta silencieuse un moment. Elle reculait dans le temps, descendait dans ses souvenirs. Irina avait envoyé un album photo et une lettre. Il vit Kyra Nijinsky tourner lentement les pages de l'album. Sur son visage, parurent des sentiments contradictoires. Il les observa fugacement. Elle fut perplexe, radieuse, embarrassée puis très émue.

-Elle avait gardé ces photos ! Je me souvenais d'elles mais je les croyais perdues !

Il ne savait pas de quoi elle parlait :

-Vous voyez : d’abord, c’est Londres. Ces années- là, j’en ai un souvenir spécial ! Elle était plus jeune que moi, moins singulière mais forte, forte, une belle personnalité. Et elle aimait faire des photos : il fallait poser. Elle était très adroite avec les gens. Elle les faisait se montrer, se révéler. Je n'étais pas son seul modèle, loin de là. Il avait des comédiens, des chanteurs lyriques, des danseurs bien sûr. L'idée était de faire des photos insolites, singulières. En les regardant, on s'apercevait que l'impression qu'on avait voulu créer n'avait pas abouti et qu'on révélait de soi-même ce qu'on voulait cacher. Ça ne dit rien car vous n'avez pas idée de qui est sur ces photos mais pour moi qui les ai bien connus, je peux vous assurer que la surprise a été grande ! Elle était vraiment douée. Elle aimait choquer et moi-aussi, beaucoup. Nous avons été très liées ! Que c'est inattendu de retrouver cette période et elle !

Elle regardait les portraits avec attention. Il ne disait rien. Elle hochait la tête, paraissait dans son monde. Elle se redressa brusquement et se mit à parler russe. Elle avait les yeux baissés et il ne savait ce qu'elle disait. Sa voix, bien que basse, grondait :

- Чего она хочет? Чего он хочет? Que veut-elle ? Que veut-il ?

Il se sentit mal à l'aise d'autant que la serveuse qui posait devant eux une théière et deux tasses jetait à son interlocutrice un regard peu amène. Il attendait.

Elle tourna encore les pages de l'album, et là, elle parut interdite. Elle était changée, plus dure. Elle tenait l'album dressé non par malveillance mais par maladresse ou pudeur et il ne voyait rien. Irina avait dû se tromper. L'entretien allait mal tourner.

 Les sourcils froncés, le visage partagé entre la nostalgie et la joie, elle dit encore, comme pour elle-même :

-Alors, elle avait ça aussi. Ces photos de moi...Elles avaient celles-là !

Elle pinça les lèvres, se redressa et le regarda droit dans les yeux. De nouveau, elle parlait russe.

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