Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
2 avril 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Des fleurs vivantes pour Kyra.

 

Le 6 juillet 1987, il s'en souviendrait toujours, il avait rendez-vous avec mademoiselle Nijinsky dans le « petit salon » d'un hôtel de moyenne gamme. Il devait aller à San Rafael au nord de los Angeles et la retrouver en milieu de matinée. Il hésita pour savoir s'il devait rouler de nuit ou dormir à l'hôtel puis retint un départ nocturne. Il remplit l'arrière de sa voiture de gerbes de lys et de roses blanches.  Et roula calmement. La circulation de nuit aux États- Unis l'amusait toujours, tout y étant si réglé. Il fallut sortir de Corona del Mar et longer la route côtière. Erik, en roulant ainsi se dit qu'il rejoignait des milliers de voyageurs européens antérieurs à lui et qu'ils étaient aussi stupéfaits qu’eux car pour un habitant de l'ancien-monde, ces vastes routes, cette façon de circuler et de signaliser ne pouvait appartenir qu'à l'Amérique et c'était fascinant ! Six, dix heures, douze heures après, on n'était encore nulle part ! Il était content car la nuit était sereine et de l'arrière de la voiture, lui arrivait le parfum des fleurs. Quand il vit enfin la petite ville, il commença à exulter. Dans la fraîcheur nocturne, son attente était intense !  Elle lui avait dit Woodland Avenue, Nigthingale Inn. Était- ce possible, un nom aussi poétique ? L'aube arrivait. Tout l'amusait maintenant. Il attendit et marcha longtemps aussi dans un centre-ville désert où l'hispanisme avait encore ses droits. Elle avait dit « près d'Albert Park ». Il y était. Enfin, après trois cafés dans trois endroits différents, il fut prêt. Les roses avaient souffert du voyage. Il serra les lèvres : offrir un bouquet fané à la fille de Nijinsky ? Il était vraiment stupide. C'était un hôtel quelconque mais très américain : de grandes pièces, de la moquette, des couleurs inattendues et un personnel très aimable. Il la demanda. La réceptionniste parut gênée : personne du nom de « madame ou mademoiselle Nijinsky » n'avait laissé de message pour lui. Il se reprit :

-Pardon, madame Markevitch ?

-Oh, elle vous attend là-bas au fond, vous voyez ? Le salon vert !

Il sourit à la jolie réceptionniste et traversa la salle. Elle l'attendait. Et là, il se sentit honteux, mal à l'aise. Ce bouquet défraîchi pour une dame comme elle ! Elle n'était pas très grande et l'âge ou les excès lui avaient prendre beaucoup de poids ; son visage, bien sûr, accusait les années. Elle devait avoir plus de soixante-dix ans. Mais cette ossature de visage, ces pommettes hautes, ce regard aigu ! Elle avait de grands yeux verts ! Et ce maintien un peu étrange : le cou fort, la tête haute et le torse solide. Elle avait des mouvements de tête sidérants, une façon de bouger les mains. Elle était...elle était comme son père. La saluant et la regardant, il était stupéfait. Qu'avait-il fait jusque-là ? Il n'avait rien compris au rôle, au film. Il suffisait de la voir pour comprendre. C'était la fille de Nijinsky ! Elle avait eu, il le savait, une enfance cosmopolite et vie difficile. Elle avait connu les excès et la maladie après avoir été élevé auprès d’un père qui avait des accès de folie et une mère qui avait parfois été dure. Elle avait danseuse peu de temps et sa carrière ne laissait pas de traces. Par Irina, il venait d’en apprendre beaucoup…

Elle semblait lasse et il s’en voulut. Quel prétentieux il était de venir la solliciter pour ce film où, après tout, elle n’avait peut-être rien à faire ! Il s’en voulut d’être un tel émissaire…  

-Je suis navré, vraiment…

-Pourquoi ?

-L’arrière de ma voiture est pleine de fleurs mais elles ont mal supporté le voyage…Quand les fleuristes vont ouvrir, je vais aller les remplacer. Irina m’a dit que vous aimiez les lys et les roses. Les fleurs sont vivantes…

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité