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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
20 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Erik et le Journal de Nijinsky. Etrange litanie.

 

Comme il l’attendait, il laissa se dérouler d’autres textes du grand danseur, dont certains étaient dits dans le film. C'était une litanie magnifique.

« J’ai pris un bon déjeuner parce que j'ai mangé deux œufs mollets et ai fait frire des pommes de terre et des haricots. J'aime des haricots, seulement ils sont secs. Je n'aime pas les haricots secs, parce qu’il n'y a aucune vie en eux. La Suisse est malade parce qu'elle est pleine des montagnes. Beaucoup de personnes de la Suisse sont sèches car il n'y a aucune vie en elles. J'ai une domestique sèche parce qu'elle ne se sent jamais bien. Elle pense beaucoup parce qu'elle a été desséchée dans un autre emploi qu'elle a eu pendant longtemps. Je n'aime pas Zurich, parce que c'est une ville sèche. »

 

« Je sais que chacun dira que Nijinsky est devenu fou, mais je ne m'inquiète pas, parce que je me suis déjà comporté comme si j'étais un fou à la maison. Chacun pensera ceci, mais je ne serai pas mis dans un asile de fous, parce que je danse très bien et donne de l’argent à quiconque me demandent. Les gens n'aiment pas ceux qui sont excentriques, et ils ne me laisseront donc seul, dire que je suis un clown malade. J'aime les malades mentaux parce que je sais leur parler. Quand mon frère était dans un asile de fous, je l'ai aimé et il l'a senti. Ses amis m'ont aimé. J'avais dix-huit ans. Je comprenais la vie d'un malade, sa psychologie ; il ne faut pas heurter un malade mental. »

 

« Tu seras libre comme l'air, aussi libre qu'un oiseau car mon Journal, sera publié à des milliers d'exemplaires ! Je veux signer Nijinsky mais c'est pour la publicité car mon nom est Dieu. J'aime Nijinsky non comme Narcisse peut le faire mais comme Dieu. Je l'aime, Je lui ai donné ma vie et il connaît mes manières de faire... »

 

 «Tout que j'écris est un enseignement essentiel à l'humanité. Romola a peur de moi parce qu'elle se sent que je suis un prédicateur. Romola ne veut pas un prédicateur pour un mari. »

 

« J’aime la lumière des étoiles qui scintillent ; il n'est pas une étoile qui ne brille pas ! Ma femme est une étoile qui ne scintille pas. J'ai remarqué que beaucoup de gens ne brillaient pas ; Je pleure quand je sens que quelqu'un ne scintille pas. Je sais ce qu'est la mort. La mort est la vie qui s'éteint. »

 

« Je ne cherchais pas, je n'avais pas de but si précis et je n'appelais pas la renommée. C'était ainsi. Je me sentais mal avec ces désirs-là ; parce que je ne me sentais pas bien avec eux, Diaghilev a remarqué que j'étais un homme ennuyeux, et donc il m'a laissé seul. Comme j'étais seul, je me suis masturbé et j'ai cherché à manger des tartes. J'aime tellement les tartes. Diaghilev pensait que je m'ennuyais mais ce n'était pas le cas du tout !  J'étais occupé avec la danse et avec les ballets que je composais moi-même. Il ne voulait pas que je fasse les choses par moi-même et j'ai dû aller contre son gré. »

 

« Je suis un homme mauvais. Je n'aime pas tout le monde. J’ai souvent souhaité du mal à tout le monde et le bien pour moi. Je suis un égoïste. Je ne suis pas Dieu. Je suis une bête, un prédateur. Je vais pratiquer la masturbation et le spiritualisme. Je vais manger tout ce que je peux attraper et je ne reculerai devant rien. Je vais faire l'amour à la mère de ma femme et avec mon enfant. Je vais pleurer, mais je vais faire tout ce que Dieu m'ordonne ... Je sais que beaucoup de filles et de femmes font l'amour avec des animaux !

 

« "Je ne veu rien dir, par ce que tout le monde ici pensse que je sui un fou. je ne peu pas dir, par ce que on ne me comprendra pas. Je veu que tu vien ici plus vit possible, par ce que je devien très melencolic [...]

 

 "Je sui mieux, mes je serai toutafai bien si nous seron ensemble. Je veux que Doctor Frenkel me soine. Je veux que tu, Oscar et Romola me cherch. Je veux être avec vous [...] Je fairai tous se que tu, Oscar et Romola veux. Je ne sui plu nerveux. Je veux être avec vous, mai pas seulle. Je sui triste si logtemt sent vous. Je veux que vous veniez avec premier trin me cherche [...] J'aime vous tous et je veux vous bien. J'aimerai danser en suise avent que vous parter"...

 

A Serge Diaghilev.

« Je suis un homme plein de raisons et plein de sentiments. Vous avez l'intelligence et n'éprouvez aucun sentiment. Vous êtes le Mal. Je suis le Bien. Vous n'écrivez pas, vous tele-écrivez. Vous êtes un télégramme, je suis une lettre. Vous êtes une machine. Je suis l'amour. »


« Vous êtes un pic, je suis un pic... »

 

« A l'humanité :

Je suis boeuff mes pas biffstek ; Je suis stek sens boeuf en biff. Je suis biff mes pas un stek ! Je suis stek , je suis stek,Stek et stek ne pas un biff.

Biff et biff ne pas un stek ! »

C’était les mots d’un homme qui perd la raison. Perdre. La. Raison. Ça pouvait se mettre en équation avec devenir fou. Trouver. La. Folie. C'était ce qu'il voyait car le Danseur, il le savait, avait cherché à ce que rien ne lui échappe. Et tout était parti. Il n'avait trouvé que les ténèbres. Il devait être à bout nerveusement et sans cadres. L'Ecole impériale lui en avait donné un et même s'il était impitoyable, il l'avait maintenu debout. Les Ballets russes l'avaient mis au-devant de la scène et il avait brillé ; une fois qu'il en avait été exclu, il n'avait rien pu faire. Non qu'il ne fût un homme de projet mais tout était allé trop vite. Ses chorégraphies étaient mal comprises. N'ayant jamais eu à se préoccuper de rien, il lui était difficile d'avoir le sens des affaires et la guerre avait éclaté. Et il y avait le choc violent de la rupture avec Diaghilev et cette jeune épousée avec qui au début il communiquait par signes puisqu'il n'avait aucune langue commune. Il avait dû se sentir écrasé. A cause de la danse ? Pour la danse ? Erik ne savait pas répondre. Ce qui était sûr, c'est que toutes les compagnies européennes qui avaient voulu engager le grand Nijinsky l'auraient distribué dans des rôles standards ; mais il avait chorégraphié plusieurs ballets dont Le Sacre et il était un artiste expérimental. Les rôles qu'on pourrait lui confier devaient accroître ses dons et non les brider. D'où l'écrasement londonien après le somptueux carcan des Ballets russes. Il lui aurait fallu être sans grand amour propre pour satisfaire aux standards européens et vouloir absolument gagner de l'argent ; ou avoir suffisamment de poids pour prendre en main une troupe. Il n'avait fait ni l'un ni l'autre...Il avait des aptitudes prodigieuses pour le saut et il était resté là-haut. Pourquoi redescendre ? Peut-être ne voulait-il plus savoir qu'il avait été un enfant pauvre et méprisé ? Peut-être ne supportait-il plus d'être si à part. Le génie met à part. Erik le prenait pour ce qu'il était : un danseur extraordinaire, un créateur et certainement un homme seul.

 

Et puis soudain, on lui téléphonait. Elle était à Los Angeles et il devait aller la voir à son hôtel. Il reconnaissait sa voix au téléphone et bientôt, il trouvait que le taxi n’allait pas assez vite :

Et elle était assise dans le hall de l’hôtel, un peu trop fardée, en robe jaune. Elle souriait.

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