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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
4 mars 2024

Erik N / Le danseur. Partie 3.

Erik N / Le danseur. Partie 3.

Le photographe changea de ton.

-Je t’attendrai ici demain. Tu viendras t’allonger près de moi et je t’embrasserai. Tu ne lui ressembles pas, personne ne le peut. Mais tu sais émouvoir et il est à la fois évident et douloureux de te désirer. Je laisserai des consignes à la porte. Un petit message sous le gros galet bleu. Tu me rejoindras.

-Vous rêvez, Rob.

-Eveillé.

Toutefois, après avoir hésité, il revint voir le photographe, obéit au rituel suggéré, entra dans sa maison, le rejoignit dans sa chambre où il trouva nu sous un drap.

-Regarde, là, sur cette étagère. Prends les photos.

Erik le fit.

-Dis-moi ce que tu vois.

-Sur la première, je vois le visage d'un homme brun vêtu et de dos qui étreint un jeune homme dont on ne voit que les épaules, une ébauche de visage et la chevelure très blonde. Le visage de l'homme est volontairement flou mais la photo intense et dérangeante, comme si elle témoignait d'une tristesse et d'un éloignement. La seconde photo représente un homme altier, très bien vêtu de gris et de noir qui fait face à un jeune homme nu. Aucun des deux visages n'est reconnaissable. La posture de celui qui est nu est fière et belle mais, en avançant une main qui va atteindre son torse, l'autre homme montre sa prestance et son contrôle sur l'homme plus jeune qui, lui, est nettement offert. Une violente tension érotique les font se rejoindre.

-Voilà. Ça parle de toi.

Erik resta silencieux puis sortit d’une poche de sa veste une photo de Chloe et la tendit à Rob.

-Et maintenant, c’est vous qui décrivez ?

-Bien sûr : c’est un Botticelli. Dites-lui de venir me voir.

-Elle ne le ferait pas. Ces photos, vous me délivrez un message.

-Oui : c’est toi et moi.

-Non.

-C’est vous et l’autre, celui que vous allez revoir à New York. Pas la même référence en peinture.

-Où voulez-vous en venir ?

-Quelqu'un comme lui aime quelqu'un comme toi. Et réciproquement.

Le raccourci était si surprenant qu’Erik ne put retenir une exclamation :

-Ah ! Un vrai devin !

Williamson apprécia. Le beau jeune homme ne se laissait pas faire.

-Non, je ne suis pas devin mais je connais bien l'être humain, les mécanismes du cœur, ce à quoi ou à qui on pense tenir et ce à qu'on cherche vraiment... 

-Je ne vous suis pas.

-Mais si...

-Cette conversation est close.

Le photographe sourit.

-J’espère bien. Allonge-toi près de moi et laisse-toi embrasser.

-Et si je refuse !

-Tu ne pourras pas m’acheter tes photos ! Ce sera hors de prix ! Allons, une personne comme toi suscite l'intérêt d'un homme comme moi. Tu n’es pas anodin. Tu es sans doute un bon danseur et malheureusement de cela, je ne sais rien, mais tu es bien plus que séduisant, tu es étonnant !

-C’est ce qu’on dit quand on veut obtenir les faveurs de quelqu’un…

-Je veux les obtenir.

Erik ne retira que sa veste et ses chaussures. Il s’allongea près de Rob et l’embrassa sur les lèvres puis sur la bouche.

-Parfait. Encore.

-J’aurais mes photos ?

-Au vrai tarif, oui.

Il embrassa de nouveau Rob mais quand celui-ci en voulut plus, il s’écarta de lui et se leva.

-Je vous attends dans le salon.

Quand le photographe l’y rejoignit, il était vêtu. D’un ton primesautier, il lui dit :

-Vous savez ce qu’a écrit Marcel Proust ? Je le cite : « Il en est des plaisirs comme des photographies. Ce qu'on prend en présence de l'être aimé n'est qu'un cliché négatif, on le développe plus tard, une fois chez soi, quand on a retrouvé à sa disposition cette chambre noire intérieure dont l'entrée est condamnée tant qu'on voit du monde. »

-Vous parlez de celui que vous avez perdu ?

-Oui et de toi-aussi.

-Vous savez, je pars.

-New York.

-Je suis encore en vacances : je reçois ma famille ; puis je retrouve le New York City Ballet. Dans deux mois, Chloe arrive.

-Parfait.

-Et vous ?

-Mais je vais chercher le moyen d’exposer non loin de toi !

Erik se mit à rire mais Williamson changea de cap.

-Brad, je l’aimais de façon violente, tumultueuse mais pure car totale. Cet amour a résisté aux turbulences créées, à la distance géographique, à toutes sortes de contingences ; en ce sens, il méritait le respect. C'était un amour volontaire qui ne le livrait pas à lui-même pas plus qu'il ne cherchait à l'écraser. Intellectuellement, je l’épaulais car ma culture était plus forte que la sienne. Affectivement, je lui donnais, quoi qu'il puisse en dire, beaucoup de sécurité car il le guidait et savait le protéger. Sexuellement, le lien était fort aussi et avait depuis longtemps dépassé le stade de l'intimidation et du contentement pulsionnel. Brad était acteur. Notre liaison a duré douze ans. Il est mort en huit mois. Il était méconnaissable. Il n'est pas si simple de trouver sur cette terre quelqu'un qui puisse être si prodigue avec vous !  Il était acteur. Je comprenais son art et il admirait le mien.

Williamson était prêt à pleurer. Touché, Erik revint vers lui et le serra dans ses bras.

-Il existe des ballets où une telle douleur peut se dire.

-Ah oui ? Tu en as dansé ?

-Oui mais cela ne suffit pas. J’en danserai d’autres qui seront plus proches de ce que vous vivez. Aurevoir.

-New York.

-Si vous y exposez, je vous verrai.

Il partit. Il erra et s’amusa encore puis il prit l’avion. Il avait beaucoup appelé Chloé et l’avait rassurée. Il l’aimait. Il avait eu Julian au téléphone aussi, très brièvement.

-Vacances terminées ?

-Pas encore. Famille.

-Mais après ?

-Je serai plus disponible.

A l’aéroport de San Francisco où seul, il attendait son avion, il se sentait très exalté. L’aventure du film avait été difficile mais magnifique. Et ce qui suivrait aurait la même tonalité.

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