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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
21 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Préparatifs et filmage.

 

Comme Erik l’avait dit, Mills filma les danseurs se costumant et se maquillant et il fallut refaire les prises plusieurs fois. Il était ce jour-là très énervé et très obstiné. Pourtant, Erik était précis quand il couvrait son visage de fard blanc, redessinait ses yeux, ourlait sa bouche et vérifiait si tout allait bien. Mais il demandait encore. Refaire le maquillage des yeux, refaire le maquillage de la bouche. Encore lisser les cheveux. Mettre encore la coiffe pleine de fleurs. De face, de profil. Non, farder encore. Être de face. Être de profil. Se tourner lentement. Lever la tête. Encore. Erik n'omettait aucune objection. Il obéissait. Enfin Mills parut satisfait et dit avoir filmé ce qui lui était utile mais il fallait maintenant passer au démaquillage. Il cherchait le moment où les fards se diluent et où le vrai visage n'est pas encore reconnaissable. Il traquait certains regards, ceux que le danseur se lançait à lui-même pour vérifier la progression de son travail. Il traquait les mouvements du visage. Il cherchait. Là encore, il fut très long. Erik dut de nouveau le farder pour ensuite se démaquiller et ne dit rien. Il fallut ensuite qu'il retrouve avec sa danseuse les poses de Nijinsky et il le fit avec application. De profil, le visage levé, Erik était le frère de Vaslav. Son regard avait la même intensité et la même élévation. En pied, avec Adélia, il copiait les mouvements de bras du danseur et sa ferveur. Mills avait l'air radieux. Le danseur, très concentré cherchait ce qui était le mieux. Les costumes étaient à l'identique, la gestuelle du grand danseur scrupuleusement observée, les postures, les regards, jusqu'aux sourires et à la gravité. Les prises de vue furent longues et tous parurent ravis qu’elles prennent fin. Le lendemain, le danseur alla au studio seul. Mills voulait filmer le grand saut du spectre. Cela lui prit une matinée. Erik pensa qu’ils étaient quittes mais son metteur en scène le retint encore pour le filmer reprenant certaines postures et il accepta. La journée fut longue et quand Erik retrouva Chloé, il lui dit par le menu ce qu’il avait fait. La jeune femme lui parut peu compréhensive et il en fut surpris.

-Il t’observe ainsi ?

-C’est du cinéma.

-Il te scrute, c’est étrange.

-Non, ça fait partie du film. C’est l’histoire d’une fascination. Celle d’un danseur classique qui se heurte à Nijinsky.

Elle resta circonspecte.

-Lui, il te filme. Moi, tu sais moi, j’aimerais te dessiner. Je suis une bonne portraitiste !

-Bien sûr !

Il la prit dans ses bras.

Dans les jours qui suivirent et alors qu’elle n’avait pas encore mis son projet à exécution, Erik fut confronté au second ballet clé du film.

L’Après-midi d'un Faune était le premier ballet de Nijinsky. C’était davantage le travail d'un jeune homme singulier que celui du grand danseur des Ballets russes à l'image ciselée. Aussi célèbre que le Spectre de la rose, il était auréolé de toute une relation à la modernité. On le dansait beaucoup, on le commentait sans cesse. C'était un objet d'étude pour intellectuels, une fascination pour les chorégraphes, un objet de nostalgie, un fantasme qui hantait les imaginations. Mills parut très tendu avant le tournage et Erik lui-même s’inquiéta. Il n'avait pas trouvé la barre si haute pour le Spectre de la rose mais le Faune l'angoissait.

-Il me croit infaillible alors que je suis faillible. Je mets beaucoup de temps à être satisfait de ce que je fais et je n'hésite jamais à défaire pour refaire. La perfection est un devoir. Irina me le disait. Oleg aussi.

Erik se trompait. Mills jouait sur ses failles et Wegwood aussi dans une moindre mesure.   C'était étourdissant de filmer dans l'effort un danseur classique aussi entraîné qu’un athlète d’autant que jamais il ne renonçait. Il pouvait admettre bien sûr qu’il fût fatigué ou indécis, mais tout cela était passager…

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