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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
15 avril 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 2. Evoquer Mads, l'homme qui a fait du mal.

 

 

Julian, qui l’écoutait, le contempla avec surprise.

-Il avait divorcé, sa femme l’avait trouvé au lit avec un type, sa fille ne lui parlait plus. Il avait des problèmes d’argent. Son ex-femme le harcelait. Il m’a raconté tout cela et je ne savais pas quoi faire, quoi dire…Je le voyais beaucoup. Physiquement, c’était très fort et ça me suffisait. Ses déclarations d’amour, ses vœux pour l’avenir, je ne savais ce que je devais en faire. Elles me tétanisaient. Il devenait véhément…Sonia n’était pas encore arrivée dans le corps de ballet. Je ne savais pas qu’elle me repérerait très vite, que je serais pour elle l’objet d’un enjeu. Si je l’avais su, j’aurais été moins véhément avec lui !

Il secoua la tête.

-Il m’a poursuivi à la fin, il était tout le temps après moi. Il m’attendait devant le théâtre, devant chez moi. Il commençait à comprendre pour elle, oui, c’est ça, il se rendait compte et ça lui était insupportable. Il le disait d’ailleurs que ça et le reste, c’était plus qu’il n’en pouvait supporter. Si j’avais su, si j’avais su ce qu’il ferait, je n’aurais pas…non, je n’aurais pas fait comme ça…

C’était une longue confession mais Julian ne faisait rien pour l’interrompre, rendant plus vive la souffrance d’Erik.

-Il est resté seul chez lui plusieurs jours de suite, puis il s’est pendu. On ne l’a pas trouvé tout de suite. Quand je l’ai appris, j’ai été terrifié. Il avait dit qu'il se tuerait car je le rejetais et il l’avait fait ! Comme ça me poursuivait, j’ai vu un psychologue, un médecin. Il n’en est pas sorti grand-chose. Plus tard, j’ai appris qu’il avait des dettes, qu’il n’avait plus de travail car il buvait et qu’il était déréglé mentalement. C’était peut-être de simples menaces ! Il s’était tué pour un autre motif. Mais tu vois, même si a bien des moments, c’est à cette version que je souscris, la première continue de m’interpeller…

-Tu pensais que tu risquais de m’insupporter à un tel point que j’en perde le goût de vivre ?

-Il me voulait beaucoup et tout le temps et toi, tu t’es mis à faire pareil. Je le redoutais mais tu l’as fait. Il y avait cette violence invisible qui sortait sans cesse de lui et qui me donnait envie de frapper. Toi, c’était plus insidieux mais tout aussi insupportable. Il fallait créer le désordre.

Erik tourna son visage vers le décorateur qui le trouva tourmenté mais douloureusement beau.

-Tu es un enfant ! Tu l’as exaspéré mais pas poussé à mourir ! Et je doute d’avoir été aussi véhément ! Qu’est-ce qui te rendait si enragé ?

-Tu prenais possession de moi, je viens de le dire.

-Je m’occupais de toi, c’est différent. Enfin Erik ! Tu n’étais pas indifférent à ce que j’étais. Cette ingratitude soudain !

-Tu allais trop loin. Je ne suis pas à toi.

-Et quand bien même, ta réaction ! Quelle violence !

-Oui, Julian. Je sais.

Leurs visages étaient désormais proches et Julian sentait plus encore la dérive de son jeune compagnon. Quand celui-ci planta ses yeux bleus dans les siens, il retrouva son trouble ancien et le cacha. Cette qualité de bleu, si pâle et si belle, ces cils blonds…Il n’était plus si facile de haïr…Erik commença à parler d’une voix peu sûre et un peu feutrée.

-Donc maintenant, je peux m’excuser ?

-Oui.

-Alors, je le fais.

Comme Julian restait interdit, plus parce que la sincérité du danseur l’atteignait de plein fouet que parce qu’il le croyait double, Erik fut décontenancé. Ses excuses tombaient-elles dans le vide ? Il se mit à pleurer et cacha son visage dans ses mains. Le décorateur se sentit bouleversé :  la cruauté appliquée à l’être aimé n'engendre que la désolation. Il regrettait d'avoir puni Erik de cette façon, et d'avoir pris de plaisir à le faire.

-J’accepte tes excuses mais elles ne résolvent pas tout. Tu as tenté de toucher à mon image publique et ça, c’est une absence de respect ! Nous nous connaissions. Ta violence me restera en mémoire. Et ta duplicité aussi. Tu m’as dit que tu m’aimais…

-Je ne t’ai pas menti. J’ai eu tort.

-Soit. Cette fois, je te crois, Erik.

Le jeune homme s’apaisa.

-Que vas-tu faire ?

-Je me perds un peu ici : tout ce travail, cette pression, le fait qu’il est interdit de décevoir sur scène. Mais j’ai perdu mes axes : il me faut les retrouver et ça ne passe pas forcément à New York.

-Tu as un projet précis ?

-Non mais il faut qu’il y en ait un ; tu te souviens des deux personnes qui m’ont formé au Danemark ?  Irina et Oleg. Ils me parlaient de Nijinsky, des Ballets russes. Lui qui avait été un de mes formateurs, je l’ai perdu de vue mais elle, elle me parle. Si on monte les ballets du grand danseur russe, cela se fait sans moi ; on ne m’y programme pas ou pas assez. Il y a quelque chose qui ne va pas.

 

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