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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
25 janvier 2024

Erik/N le Danseur. Partie 5. Erik et Vaslav. Dialogues.

 

VASLAV VASLAV

-Tu n’as pas souffert comme moi.

-Je le sais. Je n’étais pas un enfant polonais vivant en Russie. Je n’avais pas de parents artistes de cirque. Mon père ne m’avait pas abandonné. Ma mère n’était pas pauvre. Je n’ai pas eu de frère qui ait une maladie mentale. J’ai été tourmenté mais les abimes ne m’ont pas menacé, pas comme toi en tout cas.

-Non, mais on t’a malmené : cet homme qui s’autodétruisait, cette danseuse égoïste et je n’en cite que deux. Et puis, tu sais que moi, j’ai eu besoin de protecteurs. C’était comme ça, à l’époque. Les danseuses et les danseurs cherchaient dans l’aristocratie ou la bourgeoisie des « soutiens » parce qu’autrement, malgré leur art, ils auraient vécu chichement. Moi, j’ai connu le prince Lvov, puis un autre homme et ensuite Diaghilev. C’était facile au début. T’es-tu vendu ? Je ne le pense pas mais cet américain a été un protecteur…

-J’ai accepté de porter la compagnie Sandborn. Ma position était ambiguë. J’ai accepté certaines tractations…

-Ah, je sais. As-tu regretté ?

-Par moments. En même temps, ce qu’il m’offrait était incroyable. Mais de toi, je me suis écarté.

-Oui, Erik, je l’ai remarqué. Mais tu avais déjà tourné ce film qui continue de tourner dans les salles ! Là, tu t’es très bien approché de moi, tu as dansé certains de mes rôles, abordé deux de mes chorégraphies, dit des passages entiers de mon Journal. On me danse beaucoup, on m’incarne beaucoup mais toi, tu m’as vraiment bien servi à cette époque. Cela, tu n’as pas à le regretter !

-Alors, c’est vrai ?

-Mais non ! John Neumeier, ta ligne de conduite ensuite. Tu ne m’as jamais perdu de vue.

-Je suis fier de ce film mais j’étais mauvais acteur.

-Non, pas du tout. Et puis, tu as connu ma fille. Ah, Kyra ! Elle était si indomptable, intelligente, extravertie ! Elle m’a beaucoup manqué dans ma maladie.

-Elle vous a servi, elle vous a imité.

- « Je suis Nijinsky, celui qui meurt s’il n’est pas aimé. » Toute sa vie, elle m’a aimé avec exaltation. Tamara, qui m’a à peine connue, a été plus mesurée…Je sais que pendant ce tournage, elle t’a rendu sensible à notre relation. Elle a beaucoup souffert de ma maladie.

-Par elle, des objets me sont venus de vous !

-Erik, ça me rend heureux. Elle t’a donné un beau carnet dont tu t’es dessaisi mais voudrais-tu le récupérer, le chorégraphe à qui tu l’as donné ne te le retournerai tout de suite. Il te revient…Pense-y…Quant aux photos, je sais que tu connais leur valeur. Elles sont uniques. Garde-les cachées. Tant qu’elles sont avec toi, tu peux être sûr que je te parlerai.

-Vous êtes Nijinsky. Grand, si grand…

-Ne crée pas un ballet sur moi avec projections de mes dessins et lecture de mon Journal. Cela, d’autres l’ont déjà fait où le feront. Je n’ai jamais voulu arrêter de danser et je n’ai jamais écrit pour que mes textes servent à des médecins. J’étais un homme debout et j’étais dieu ; mais on ne le comprenait pas et ces spectacles sur moi me laissent toujours une impression étrange.  Honore Romola en montant Bilitis. Tu utiliseras la musique de Debussy et tu t’inspireras des Chansons de Bilitis, de Pierre Louÿs. Toutes mes notes sont perdues mais je sais que tu trouveras comment faire. Et pour Renaissance, qui évoque Diaghilev et Romola, tu sauras faire aussi. Et bien sûr, tu créeras une chorégraphie pour Papillons de nuit. L’amour, la mort, la difficulté des choix, l’affranchissement face à toute morale étroite, la beauté des corps et celle de la danse…

-Vous me pensez prêt ?

-Romeo, le prince Siegfried dans le Lac des Cygnes, La Bayadère, La Sylphide, Casse-Noisette, Gisèle : tu as tenu tous ces rôles. Tu as toujours eu une technique redoutable, tes sauts provoquaient les applaudissements ! Tu as été le spectre de la rose, le Faune, le beau joueur de tennis de Jeux ; et tu as su créer aussi et inspirer des danseurs. Dorian Gray, Gaspard Hauser, le Compagnon errant, l’esclave d’or de Shéhérazade…Tu as été fougueux et inspiré. Tu as douté aussi, il le faut. Tu es prêt.

-Mais je ne sais pas encore où je vais.

-Tu vas très vite le savoir.

-Ma fille sera danseuse ?

-Je le pense.

-Vous ne cesserez pas de me parler ?

-Non, tu peux en être sûr.

-Merci Vaslav.

-Je voulais que mon âme chante mais elle ne l’a plus fait que dans la folie et la solitude. La tienne chantera souvent dès maintenant et quand elle le fera, tu seras empli d’une joie profonde.

Erik regarda une à une les photos de Nijinsky et la Joie l’envahit.

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