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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
24 mai 2023

Beaux textes sur la danse. Rudolph Noureyev.

NOUREYEV

Rudolph Noureyev

 

Un après-midi à Amsterdam, nous sommes allés le voir répéter. C’était un studio vert et marron, triste et sale, avec des glaces tachetées et un parquet criard, un studio comme tous les studios du monde. Il avait des lainages défraîchis et troués autour de son collant, et un pick-up grinçait et balbutiait une musique de Bach. Il s’était arrêté en nous voyant, le temps de lancer une plaisanterie et de s’éponger. Je le vis avec cette serviette éponge essuyer sa nuque, tamponner son torse, son visage avec des gestes un peu bourrus et curieusement détachés – comme on voit des palefreniers panser leurs chevaux. 
Puis il fit remettre le disque au départ et ayant ôté ses mitaines et ses lainages, il se rendit au centre de la salle, toujours souriant. La musique partit et il cessa de sourire, prit la pose, les bras écartés, et il se regarda dans la glace. 

Je n’avais jamais vu quelqu’un se regarder de la sorte. Les gens se regardent dans une glace avec effroi, complaisance ou gêne, et timidité généralement, mais ils ne se regardent jamais comme un étranger. Noureev regardait son corps, sa tête, les mouvements de son cou avec une objectivité, une froideur bienveillante tout à fait nouvelle pour moi. Il s’élançait, il lançait son corps, décrivait une arabesque parfaite, il se retrouvait les bras tendus dans une pose superbe ; il avait accompagné ce mouvement avec une justesse et une précision féline, il avait dans la glace le reflet même de la virilité et de la grâce confondue en un seul corps, et il gardait ce regard froid, intéressé, mais froid. 

 

Françoise Sagan : Avec Mon meilleur souvenir

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