Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.

2 avril 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Les mots de Nijinsky. L'âme d'un danseur.

 

9. A sept ans, j'étais avec mes parents à Vilnius. Ils voulaient que je fasse mes débuts de danseurs et je les ai faits. C'était dans un cirque. Je jouais un petit ramoneur qui observait une cheminée en flamme, entrait dans une maison et sauvait un petit cochon, un lapin et un singe avant de mettre le feu à mon tour. Eléonora ma mère adorée applaudissait beaucoup et Thomas, mon père, était content. Ils avaient une vie de danseurs itinérants mais elle leur plaisait. Je ne sais pas quand elle a su qu'il avait une maîtresse. Elle a dû se disputer avec lui et il est resté avec nous, comme s'il avait choisi de le faire ; mais après, il nous a laissés. Sa maîtresse était enceinte.

 

10. A Saint-Pétersbourg, j'étais petit, j'avais neuf ans la première année. Je pleurais souvent. Ils avaient tellement voulu que j'intègre cette école, mon père, ma mère.  Enfin, il restait ma mère. Après, il y avait Bronislava ; ça faisait deux danseurs. Mon frère était malade. Je me souciais de ma mère qui mangeait si peu, certains jours rien. Au début, j'avais de grosses larmes mais ils se déchaînaient tellement. C'était une raison de ne plus le faire ! Je ne pleurais plus devant eux mais en cachette ; mais ils ne m'aimaient pas quand même.

 

11. Nicolas Legat. Il me parlait fermement mais gentiment. A l'école, ils m'avaient battu, mis à part, mais je les battais tous maintenant : dons exceptionnels ! Il les avait devinés, développés et confirmés. Tous ces gens-là devenus polis, déférents...Monsieur Legat...

 

12. J'ai lu qu'à dix-huit ans, lors de sa première saison dans le Ballet impérial, je me serais arrêté de danser une nuit au milieu de l'acte I du Lac des cygnes et me serais ostensiblement caressé devant la fosse d'orchestre tandis que les musiciens jouaient encore. Pourquoi ? Pourquoi a-t’on écrit cela ? Je me serais littéralement masturbé en public ? Et on a dit pareil pour le Faune !  Non.

 

13. Serge était imperméable à certaines critiques. Il n'était nullement dérangé de dire qu'il vivait avec moi. Souvent, ça ne me troublait pas non plus. Mon nom était entouré d'un parfum de scandale et de toute façon, les rôles qu'au début, Fokine avait créé pour moi étaient ambivalents, très franchement sexuels. Quand j'étais l'esclave doré dans Shéhérazade, j'apparaissais le corps peint et couvert de perles. On disait, dans certains journaux, que j'étais une image de perversité : exotique, androgyne, violente, soumise. Le scandale allait très bien à Serge, à croire qu'il était né avec ! J'avais horreur qu'on dise que la première fois que je l'avais rencontré, il m'avait mis dans son lit ! C'était moi qui lui avais fait l’amour ! En fait, je m'étais jeté sur lui. On parlait trop depuis quelques heures. Et il était ma chance, non ?

 

14.Serge m'avait totalement fasciné, au début. Sa culture étourdissante, son énergie, le nombre incalculable de ses relations. C'était un grand seigneur. Il avait des idées sur moi : il voulait que je prenne la tête des Ballets Russes. Les ballets dans lesquels j'étais apparu avaient eu tant de succès ! Il fallait travailler dur mais je travaillais déjà tellement ! Quelquefois, je perdais le sommeil, j'étais fiévreux. Les ballets, les chorégraphies, les tournées. Quel Dieu ! Tu es Dieu. Serge se mettait en colère. Il disait que ce devait être moi qui devais faire cela. Moi ! Dieu-Moi. Après, j'étais en litige avec Serge. Lui non plus finalement n'aimait pas tant que cela Le Sacre. Et bien sûr, il y avait d'autres raisons. Massine a tout pris. Mes rôles. Mon travail. Il attendait tellement cela !  Quel Dieu ? Tu es Dieu ?

 

15.Quand j'avais douze ans, je suis tombé. Je suis resté dans le coma plusieurs jours ; ça me faisait peur après. C'était comme la mort. Ma mère qui ne s'alimentait plus après le décès de mon père, c'était aussi comme la mort. Mais je suis resté vivant, pas elle.

 

16 Les Sylphides, Shéhérazade, Le Spectre de la Rose, Petrouchka : je suis devenu une star internationale. De grands écrivains se penchaient sur mon cas. Ils disaient que j'étais aussi un extraordinaire comédien ! Évidemment, pas très classique. Ils me trouvaient fascinants. Diaghilev me traitait comme un enfant. Je lui paraissais souvent ennuyeux. Il me fallait aller sur scène. Et là, ses regards...

 

17. Debussy n'aimait pas Jeux.  On lui avait commandé une musique dont on ne faisait rien et ça l'agaçait. S'il avait connu les idées de Diaghilev là-dessus, il aurait haï l'ensemble. Il y avait un parc, un court de tennis et des danseurs. A l'origine, il s'agissait d'une rencontre homosexuelle, entre trois hommes. C'était un scénario que personne n'aurait reçu et j'ai dû le transformer. C'est devenu un garçon et deux filles. Je voulais tout de même, à un moment, danser le ballet sur pointes avec des chaussons de danseuse mais c'était encore trop audacieux. J'aimais ce ballet mais n'ai pu faire comme je voulais. Souvent, j’imaginais Debussy déjeunant avec Serge et moi avec son air plein de réserve. Très grand seigneur, il l'aurait mis en toute simplicité dans la confidence. Debussy et la turpitude...Rien que d'y penser...Ah[FRANCE -1]  ah ah !

 

18. Je l'aimais sincèrement. Il m'a dit que l'amour des femmes était terrible. Sur le moment, je n'ai pas compris. L'amour que j'aurais porté aux femmes ? Celui qu'elles m'auraient porté ? Il parlait du désir, de celui que j'avais pour elles. Il disait : ah mais non, c'est dégradant. Je l'ai cru.


19. Une fois, je lui ai demandé pourquoi il portait un monocle. Il m'a répondu qu'il avait un œil plus faible que l'autre et qu'il fallait corriger ce défaut. Et puis il a ri violemment. J'ai compris qu'il me mentait. Mais il me mentait pourquoi ? J'étais mal à l'aise. Après, il a dit qu'il adorait qu'on parle de lui et que son monocle pouvait être un sujet de conversation. Je n'ai rien dit.

 

20.1916. États-Unis. Diaghilev m'a fait confiance de nouveau après une brouille sévère qui l'a déchiré lui comme moi. Je me suis produit à l'opéra de New York et dans d'autres villes. Il y a eu des moments extraordinaires. En Californie, Chaplin est venu me voir dans ma loge. Je parlais avec lui et ça ne cessait pas. Serge est venu plusieurs fois me dire d'entrer en scène car le public devenait fou ! Mais moi, ça m'a fait rire. Chaplin avait l'air surpris. J'ai continué de lui parler. Je lui ai dit « oh, vous savez, ils peuvent attendre ! » Aussi, je l'ai rejoint sur un tournage ; Il était très admiratif. Je lui ai dit qu'à sa manière, il était aussi un grand danseur. J'ai parlé aussi et longtemps avec des étudiants américains.

 

21. 1917 : il a fallu retourner en Amérique du nord. Serge n'est pas venu. Il cherchait des engagements. C'était une période difficile. Je me suis lancé dans une tournée harassante de quatre mois. Cinquante-deux villes. Il y avait plus de cent danseurs et musiciens. Je ne nie pas que tout se soit mal passé. Mais, c'était très difficile : je devais m'occuper de toute la partie administrative et je le faisais bien que n'ayant aucune formation. Je lisais Tolstoï depuis longtemps et je suis vraiment son adepte maintenant. En fait, il me plairait d'être un moine. Je prône la non-violence, la chasteté dans le couple et je suis végétarien ! Je pense que mes convictions sont belles. Je bénis mes danseurs. Je mets dans les rôles titres des interprètes peu connus et c'est vrai, j'oublie de dire quelquefois, que ce n'est pas moi qui danse ! De toute façon, je veux que Romola et moi quittions tout cela ! Je fais ce qui est le mieux. Je suis pacifiste. On me dit pourtant que beaucoup sont mécontents et que financièrement, cette tournée est un désastre. Serge dit qu'il est content : je danse encore pour les Ballets russes. Plusieurs mois. J'ai pourtant voulu m'en défaire. Il a de bons danseurs, il a Massine, non ? Mais lui considérait que le moindre échange écrit prenait valeur de contrat. Je ne voulais pas aller en Amérique du sud mais en Espagne, il m'a fait arrêter avec Romola et donc j'ai encore fait cette tournée-là. Je me souviens du 30 septembre 1917. C'était lors d’un gala de la Croix-Rouge où je me produisais, à Montevideo. C'est vrai, ce n'était pas bien, j'ai fait beaucoup attendre. Je ne pouvais pas faire autrement. Tout le monde était mécontent mais je ne me sentais pas prêt ! A minuit, je suis monté sur scène. J'ai dansé sur des nocturnes de Chopin ; je me sentais en forme et je dansais, je dansais ! C'était très bien, je pense ; Toutefois, j'ai entendu Arthur Rubinstein pleurer. Le ballet était fini. Je ne comprenais pas. Je lui ai demandé pourquoi il avait du chagrin : un si grand interprète et un homme si humble. Les larmes coulaient sur son visage. Je l'aimais car j'aime tous les hommes et je voulais le bénir ! Il a fini par me dire que ce que j'avais dansé était plus triste encore que la mort de Petrouchka. Non, ce n'était pas triste ! J'ai froncé les sourcils. J'avais vingt-huit ans.

Publicité
Publicité
2 avril 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Nijinsly. Propos réels ou prêtés.. Erik en lecture.

 

22.Pendant l'été 1913, je devais partir avec la troupe pour une tournée en Amérique du sud. Diaghilev ne pouvait suivre pour je ne sais quelles raisons. C’était lié à l'astrologie, la superstition. Il pouvait être comme ça. Elle était déjà dans mon entourage. Danseuse. Très mauvaise. Sur le bateau, elle était gentille. On ne pouvait guère se parler car nous n'avions pas de langage en commun mais deux semaines plus tard, j'ai voulu l'épouser. On s'est mariés à Buenos Aires. Je la trouvais jolie. Elle me plaisait. J'étais amoureux.

 

23 Les leçons de danse que je lui donnais. Ça paraissait l'ennuyer... Elle ne m'aimait pas tant que cela ! Elle voulait un beau mari souriant qui aime les mondanités.  Mais la danse !

 

24. Igor, peux-tu demander à Serge ce qui se passe. Il ne veut plus travailler avec moi ? Demande-lui si c'est vrai. Si ça l'est, j'ai tout perdu. Je ne comprends pas.

 

25.« En réponse à votre télégramme à Monsieur Diaghilev, j'ai l'honneur de vous informer de ce qui suit : Monsieur Diaghilev considère qu'en manquant une représentation à Rio et en refusant de danser dans le ballet Carnaval, vous avez rompu votre contrat. Par conséquent, il n'aura plus recours à vos services ultérieurs. Serge Grigorieff, régisseur de la compagnie Diaghilev. » Comment pouvait-il penser que je n'avais pas compris ? C'est lui qui avait écrit cela. Ainsi, il me renvoyait sans un mot, sans rien de personnel. Il m'a payé pour le dernier ballet que j'avais dansé pour lui. Ensuite, il m'a donné le nom de ses hommes de lois. Mais je ne voulais me laisser faire. Je n'avais pas dansé car j'étais malade et quant à l'argent, il m'en devait. C’est lui qui devrait payer...

 

26 Je me suis dit que j'étais Nijinsky et que n'importe quelle compagnie internationale m'engagerait immédiatement. J'ai eu un contrat de deux mois pour Londres. Bien payé. Mais les ennuis se sont accumulés : j'ai engagé des danseurs que j'ai fait venir de Russie. Ma sœur et mon beau-frère m'ont aidé. Seulement, ce n'était pas un théâtre mais un music- hall : les ballets devaient être entrecoupés de numéros de variété ! Bronislava qui devait danser a dû renoncer car on ne lui donnait de permis de travail. Fokine a repris ses droits sur Le Spectre de la rose. Mes amies anglaises ont fait ce qu'elles pouvaient mais la scène était petite. Il fallait faire vivre les danseurs que j'avais fait venir et je ne trouvais pas de solution. Bask aurait fait des décors sans l'interdiction qu'il en avait reçue de Diaghilev. Je suis tombé malade. Des jours durant, j'avais la fièvre. Je ne dormais quasiment plus. Je criais, hurlais et je tapais  ma tête contre les murs. On m'a donné mon congé au bout de quinze jours car je ne venais pas et j'ai perdu beaucoup d'argent. J'ai jeté mes bottes à la figure du directeur ! J'étais très inquiet et humilié. J'avais peur. Kyra était née en juin 1914. Il fallait de l'argent. J'ai fini par en avoir de Diaghilev car il a perdu son procès ; ça a été épuisant.

 

27. Tamara me souriait avant d'entrer en scène. Je l'adorais et elle me rendait mon adoration. Je la désirais. Elle était très bien faite. Elle ne voulait rien savoir mais quand on dansait Le Spectre de la rose, je sentais son corps. Fokine, je le connaissais de l'école impériale. En tant que chorégraphe, il séduisait. Mais il n'était pas Dieu, moi, je l'étais !

 

28 Eleonor. Maman, maman !

 

29. Ce que je n’avais pas vu ou pas voulu voir m'apparaissait. Au matin, les oreillers de Serge étaient tout tâchés à cause de la teinture bon marché qu'il utilisait pour ses cheveux. Il voulait paraître jeune. Il avait deux fausses dents. Je le remarquais car il les touchait toujours du bout de la langue. Quelquefois, quand il était fatigué il avait un visage de vieille dame. Une méchante vieille dame. En même temps, je l'aimais mais il était dur, étouffant.

 

30. Avant moi, il avait aimé un autre homme. Physiquement. Cet homme l'a quitté au bout de deux ans. Il s'est enfui avec un autre. Il m'a trouvé et Il a exigé cela de moi aussi. Cinq ans. Il n'a pas accepté. Il n'a pas accepté. Il considérait que j'étais son compagnon, que je l'étais encore. Sa colère si intense.

 

31.Romola était si naïve. Elle pensait qu'elle m'initiait, que je n'avais jamais connu de femmes. Je ne l'ai pas détrompée. Elle tenait beaucoup à cette idée. Mais à Paris, je cherchais des filles et négociais les prix. J'en ai trouvé une fois si expérimentée que je lui ai fait honte. Elle pouvait tout de même gagner sa vie autrement ! Ces choses qu'elle savait ! Elle est devenue roide et m'a regardé droit dans les yeux. Elle avait un petit enfant et juste cela pour vivre. Quand elle me l'a dit, je me suis senti navré pour elle. Une autre fois, c'était une femme qui avait ses règles. Je lui ai dit que vraiment c'était horrible. Elle a fait comme l'autre : elle est devenue toute raide. Besoin d'argent. A Saint-Pétersbourg, quand j'ai eu mon contrat avec Diaghilev, je suis allé dans la rue et j'ai donné de l'argent et de la nourriture aux filles ; il faut donner aux pauvres !

 

32.Ma femme voulait restait dans l'incompréhension. Elle ne comprenait pas ma beauté. Elle voulait que j'aie des traits réguliers mais la régularité des traits n’est pas de Dieu. Dieu n'a pas de beaux traits réguliers !  Il se regarde en face.

 

33. Mon regard se porte vers une étoile qui ne m’a pas dit bonsoir. Elle me refusait ses scintillations. Pris de peur je veux m’enfuir, mais retenu par mes genoux qui s’enfoncent dans la neige, je me mets à crier : personne n’entend mes cris, personne ne vient à mon secours.

 

34. Je sens que Dieu me soutiendra moi qui ne suis qu'un homme parmi les hommes, coupable comme eux de bien des erreurs. Dieu veut aider l'humanité et sauvera celui qui perçoit sa présence.

 

35.Je suis Nijinsky, celui qui meurt s'il n'est pas aimé.

 

36. Matromonio. Patromonio. Matromonio. Patrimonio...

 

37. Avec mes amours pour un homme. Avec mes amours pour un homme. Homme, mon home est un home. Pomme, pomme n'est pas une pomme...

 

38. Cueurro, cueurro, pas un corro. Monotobio tonio, tonio...

 

39. Romola, Romola, Romola...

 

Après cette longue lecture, Julian fut pragmatique.

-Le scénario est précis, je l’ai lu chez toi. L’ensemble que tu m’envoies est disparate mais ce sont des textes forts. Ton travail, c’est de les livrer au spectateur avec l’intensité d’un comédien et la force d’un vrai danseur.  C’est un labyrinthe mais je sais que tu es prêt. Vas-y ! Pour le reste, c’est ton metteur en scène qui sait ce qu’il fait.

Le danseur ne parut pas convaincu. Il appela et écrivit ; mais Julian se tint à sa décision. Erik ne lui signifiait pas clairement qu’il avait envie de le voir en Californie mais il était allusif. Le décorateur fit la sourde oreille.

Et Erik fut filmé…

2 avril 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Convaincre Kyra Nijinsky.

 

2. Kyra : contradictoire et séduisante.

Engagé comme acteur et danseur sur un film qui évoque Nijinsky, Erik est chargé de convaincre la fille du grand danseur de tenir ses engagements et de venir sur le plateau...

Kyra Nijinsky venait de faire savoir qu’elle ne souhaitait pas apparaître sur le tournage et l’on soupira, Baldwin en tête :

-Elle a signé et elle s’assoit sur ses engagements ?

Mills tenta d’intervenir :

-Il faut lui écrire. Elle était ravie de ce film. On peut lui téléphoner aussi. Il reste un peu de temps avant le filmage en studio.

-Mills, vous vous y collez ? En tout cas, moi, j’ai des doutes.

Le danseur, tout d’abord, marqua le pas mais un soir qu’il écrivait à Julian, une idée le traversa. Irina ! Mais oui, Irina ! Comment avait-il pu oublier qu’elles se connaissaient ? Elle le lui avait dit pourtant, des années auparavant. Il devait avoir quinze ou seize ans et aimait la questionner parce qu’il savait que, jouant la mystérieuse, elle le ferait attendre avant de le régaler de ces merveilleuses anecdotes sur la danse dont il raffolait. Elle les racontait avec un charme inégalable, les yeux dans le vague et la parole précise…Et il s’en souvenait maintenant, il y en avait eu une sur la fille de Nijinsky…

Passionné, il oublia le décalage horaire. Il était quatre heures du matin au Danemark quand elle lui répondit :

-Oh madame, pardon pour l'horaire ! Il est dix-heures, ici ! Je viens de me rendre compte...

-Non, non, Erik. C'est la première fois que je vous sens distrait. En général, c'est moi qui vous appelle à n'importe quelle heure !

-Ce film que je tourne en Californie est difficile.

-Je le pense bien. Vous m'avez présenté le scénario et me l'avez commenté mais vous n'avez pas été assez bavard.

Irina voulait connaître la façon dont les chorégraphies de son père étaient abordées. Devant ses réticences, il finit par l'interroger. Elle fut véhémente :

-Erik, vous travaillez avec un chorégraphe doué et je sais comment vous dansez mais ça ne peut suffire. Ce que Nijinsky a imaginé pour ses ballets est perdu. Cela signifie que pour Jeux et le Faune, vous êtes dans la reconstitution. Il n'a rien noté d'abord puis s'est ressaisi ; il a alors inventé un système de notations connu de lui-seul. Tout ceci s'est perdu ou a été transformé. Vous êtes donc sur des redites. Heureusement, Kyra Nijinsky va tout transformer ! C’est elle la chance du film, pour ce qui est de l’inspiration, bien sûr !

-Mais elle se dérobe.

 Ah ?

-Oui, à priori, elle ne souhaiterait plus intervenir.

-Si, elle va le faire ! Vous voulez savoir pourquoi ?

-Bien sûr !

-Je la connais !  Ne soyez pas inquiet, nous avons été liées il y a longtemps. Je ne vous ai pas parlé d'elle, c’est vrai.  Quand vous la verrez car vous allez la voir, vous serez au-delà de toute exégèse. Donc, orientez bien vos questions, et faites preuve de patience.  Je vais l'appeler. Je vais aussi vous envoyer un colis que vous devrez lui remettre. Elle vous rencontrera et vous saurez...

-Vous êtes sûre ?

-Comment cela, Erik ? Mais bien sûr. Vous avez raison, sur ce tournage, de la considérer comme une clé.

C'était un dimanche soir dans la grande villa et Erik appelait d'un bureau. Wegwood y entra sans savoir que son danseur était là et fut surpris de l'entendre parler dans une langue qui n'était pas l'anglais. C'est vrai ! Erik était danois. Le jeune homme semblait exalté et aux brèves réponses qu'il lui fit, il devina qu'une solution se profilait.

-Elle viendrait ?

-Oui, elle viendra. Il faut attendre un peu pour que la contacte.

Cinq jours après, le danseur lui dit ainsi qu'à Mills.

-J'ai étudié, il y a longtemps, avec une danseuse Finlandaise qui avait eu comme amie de jeunesse la fille de Nijinsky. J'ai reçu un paquet, une sorte de présent que je dois lui remettre. Tout est arrangé et le rendez-vous aura lieu dans une semaine. Elle souhaite me voir dans un lieu public et seul. Elle voudrait un endroit calme où elle puisse parler. Pas de caméra. Pas d'enregistrement. Pas de chorégraphe. Elle et moi. Les questions doivent bien s'enchaîner.

Wegwood ne s'offusqua. Mills fut insistant :

-C’est aussi simple que cela ?

-Oui.

Baldwin fut ravi. Il promit à Erik de le revoir seul à seul, dans un bar élégant. Il avait des choses à lui dire. Le danseur ressentit de nouveau une grande gêne et de nouveau, il ne confia à personne, pas même à Julian. Celui-ci demeurait solide dans son souvenir mais depuis qu’il était en Californie, il le considérait comme un conseiller fiable, pour qui, il est vrai, il éprouvait de l’affection.

Dès que le colis fut arrivé, il commença, à envoyer de grands bouquets de roses blanches à Kyra. C’était pour lui étrange d’envoyer des fleurs à une inconnue, même si elle était la fille d’un grand danseur, mais Irina, qui agençait le rendez-vous fut ferme : « Erik, ne la sous-estimez pas ! A sa manière, c’est une diva. Vous avez raison avec les roses !».

2 avril 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Des fleurs vivantes pour Kyra.

 

Le 6 juillet 1987, il s'en souviendrait toujours, il avait rendez-vous avec mademoiselle Nijinsky dans le « petit salon » d'un hôtel de moyenne gamme. Il devait aller à San Rafael au nord de los Angeles et la retrouver en milieu de matinée. Il hésita pour savoir s'il devait rouler de nuit ou dormir à l'hôtel puis retint un départ nocturne. Il remplit l'arrière de sa voiture de gerbes de lys et de roses blanches.  Et roula calmement. La circulation de nuit aux États- Unis l'amusait toujours, tout y étant si réglé. Il fallut sortir de Corona del Mar et longer la route côtière. Erik, en roulant ainsi se dit qu'il rejoignait des milliers de voyageurs européens antérieurs à lui et qu'ils étaient aussi stupéfaits qu’eux car pour un habitant de l'ancien-monde, ces vastes routes, cette façon de circuler et de signaliser ne pouvait appartenir qu'à l'Amérique et c'était fascinant ! Six, dix heures, douze heures après, on n'était encore nulle part ! Il était content car la nuit était sereine et de l'arrière de la voiture, lui arrivait le parfum des fleurs. Quand il vit enfin la petite ville, il commença à exulter. Dans la fraîcheur nocturne, son attente était intense !  Elle lui avait dit Woodland Avenue, Nigthingale Inn. Était- ce possible, un nom aussi poétique ? L'aube arrivait. Tout l'amusait maintenant. Il attendit et marcha longtemps aussi dans un centre-ville désert où l'hispanisme avait encore ses droits. Elle avait dit « près d'Albert Park ». Il y était. Enfin, après trois cafés dans trois endroits différents, il fut prêt. Les roses avaient souffert du voyage. Il serra les lèvres : offrir un bouquet fané à la fille de Nijinsky ? Il était vraiment stupide. C'était un hôtel quelconque mais très américain : de grandes pièces, de la moquette, des couleurs inattendues et un personnel très aimable. Il la demanda. La réceptionniste parut gênée : personne du nom de « madame ou mademoiselle Nijinsky » n'avait laissé de message pour lui. Il se reprit :

-Pardon, madame Markevitch ?

-Oh, elle vous attend là-bas au fond, vous voyez ? Le salon vert !

Il sourit à la jolie réceptionniste et traversa la salle. Elle l'attendait. Et là, il se sentit honteux, mal à l'aise. Ce bouquet défraîchi pour une dame comme elle ! Elle n'était pas très grande et l'âge ou les excès lui avaient prendre beaucoup de poids ; son visage, bien sûr, accusait les années. Elle devait avoir plus de soixante-dix ans. Mais cette ossature de visage, ces pommettes hautes, ce regard aigu ! Elle avait de grands yeux verts ! Et ce maintien un peu étrange : le cou fort, la tête haute et le torse solide. Elle avait des mouvements de tête sidérants, une façon de bouger les mains. Elle était...elle était comme son père. La saluant et la regardant, il était stupéfait. Qu'avait-il fait jusque-là ? Il n'avait rien compris au rôle, au film. Il suffisait de la voir pour comprendre. C'était la fille de Nijinsky ! Elle avait eu, il le savait, une enfance cosmopolite et vie difficile. Elle avait connu les excès et la maladie après avoir été élevé auprès d’un père qui avait des accès de folie et une mère qui avait parfois été dure. Elle avait danseuse peu de temps et sa carrière ne laissait pas de traces. Par Irina, il venait d’en apprendre beaucoup…

Elle semblait lasse et il s’en voulut. Quel prétentieux il était de venir la solliciter pour ce film où, après tout, elle n’avait peut-être rien à faire ! Il s’en voulut d’être un tel émissaire…  

-Je suis navré, vraiment…

-Pourquoi ?

-L’arrière de ma voiture est pleine de fleurs mais elles ont mal supporté le voyage…Quand les fleuristes vont ouvrir, je vais aller les remplacer. Irina m’a dit que vous aimiez les lys et les roses. Les fleurs sont vivantes…

 

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Des fleurs pour Kyra Ninjinsky !

Elle lui adressa un sourire amusé mais distant.

-C'est très gentil mais attendez un peu ! Je prendrai toutes vos fleurs dans l'état où elles sont. Toutes celles que vous m’avez envoyées étaient parfaites, je peux faire une exception ! Dites-moi, vous êtes danseur classique ?

-Oui, madame.

-A New-York ?

-Depuis trois ans, oui. Au New York City ballet.

-Et avant ?

-Je suis Danois. J'étais dans mon pays et à Londres, un peu.

-Ah oui, le Danemark ! J’ai bien connu Irina, elle a dû vous le dire. Elle a eu une jeunesse mouvementée à l’image de la mienne et quand elle a décidé de se fixer à Copenhague, j’ai été surprise ; mais après tout, moi, je me suis bien installée aux USA ! Sa vie a très riche, c’est une femme curieuse de tout. Il y a eu deux mariages. Le second était intéressant. J’ai été ravie qu’elle reprenne contact avec moi, vraiment. Nous parlons beaucoup au téléphone, désormais. Nous nous étions devenues lointaines et vous nous réunissez. Vous êtes si charmant ! Quel âge avez-vous ?

- Vingt-sept ans.

-Si jeune et si beau… Elle vous a enseigné la danse, n’est-ce pas…

-Elle m'a donné des cours pendant deux ans. C'est grâce à elle que j'ai intégré le Ballet Royal danois.

-Elle vous a entraîné, formé...

-Oui, madame.

-J'ai connu Irina, à Londres, au Ballet Rambert. C'est une très bonne danseuse classique. Elle avait les rôles titres. Du reste, elle a eu une belle carrière. Elle était très blonde. C'était une belle jeune femme très déterminée. J'ai toujours pensé qu'elle ferait un bon professeur de danse. Elle a dû l'être avec vous, le contraire me surprendrait...

-Elle ne prenait plus qu'un élève de temps en temps quand je l'ai connue. Elle était très dure mais juste. Elle m'a énormément appris sur le plan technique mais aussi pour tout ce qui est de la grâce, de l'expressivité. Mais enfin, elle pouvait être terrible ! Et le Russe qui me donnait également des cours l'était aussi !

-Je ne sais qui est le Russe mais Irina ne se trompe pas. Terrible ? Je pense bien.

Elle eut un étrange sourire.

-Terrible...

 Il préféra ne pas aller plus avant et lui dit :

- Elle m'a donné quelque chose pour vous. Je viens de le recevoir.

- Vraiment ?

Il sortit de sa sacoche un paquet. Elle en défit l'emballage et resta silencieuse un moment. Elle reculait dans le temps, descendait dans ses souvenirs. Irina avait envoyé un album photo et une lettre. Il vit Kyra Nijinsky tourner lentement les pages de l'album. Sur son visage, parurent des sentiments contradictoires. Il les observa fugacement. Elle fut perplexe, radieuse, embarrassée puis très émue.

-Elle avait gardé ces photos ! Je me souvenais d'elles mais je les croyais perdues !

Il ne savait pas de quoi elle parlait :

-Vous voyez : d’abord, c’est Londres. Ces années- là, j’en ai un souvenir spécial ! Elle était plus jeune que moi, moins singulière mais forte, forte, une belle personnalité. Et elle aimait faire des photos : il fallait poser. Elle était très adroite avec les gens. Elle les faisait se montrer, se révéler. Je n'étais pas son seul modèle, loin de là. Il avait des comédiens, des chanteurs lyriques, des danseurs bien sûr. L'idée était de faire des photos insolites, singulières. En les regardant, on s'apercevait que l'impression qu'on avait voulu créer n'avait pas abouti et qu'on révélait de soi-même ce qu'on voulait cacher. Ça ne dit rien car vous n'avez pas idée de qui est sur ces photos mais pour moi qui les ai bien connus, je peux vous assurer que la surprise a été grande ! Elle était vraiment douée. Elle aimait choquer et moi-aussi, beaucoup. Nous avons été très liées ! Que c'est inattendu de retrouver cette période et elle !

Elle regardait les portraits avec attention. Il ne disait rien. Elle hochait la tête, paraissait dans son monde. Elle se redressa brusquement et se mit à parler russe. Elle avait les yeux baissés et il ne savait ce qu'elle disait. Sa voix, bien que basse, grondait :

- Чего она хочет? Чего он хочет? Que veut-elle ? Que veut-il ?

Il se sentit mal à l'aise d'autant que la serveuse qui posait devant eux une théière et deux tasses jetait à son interlocutrice un regard peu amène. Il attendait.

Elle tourna encore les pages de l'album, et là, elle parut interdite. Elle était changée, plus dure. Elle tenait l'album dressé non par malveillance mais par maladresse ou pudeur et il ne voyait rien. Irina avait dû se tromper. L'entretien allait mal tourner.

 Les sourcils froncés, le visage partagé entre la nostalgie et la joie, elle dit encore, comme pour elle-même :

-Alors, elle avait ça aussi. Ces photos de moi...Elles avaient celles-là !

Elle pinça les lèvres, se redressa et le regarda droit dans les yeux. De nouveau, elle parlait russe.

Publicité
Publicité
28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Kyra Nijinsky évoque sa jeunesse.

Il perdait pied. Elle traduisit :

-Jeune fille, je m'habillais comme mon père, en costume et avec une cravate ! Elle avait gardé des photos ! Je ne le savais pas ou plus. Et il y a aussi des photos de moi en Faune ou en nymphe que personne ne connaît, je crois. Le reste, c'est juste elle et moi dans les rues de Londres en 1942. Elle avait juste vingt ans ! On riait ! Elle était aussi double que moi : les hommes, les femmes. Enfin vous voyez...

 Il fut sincère :

-Non, je ne vois rien. Je ne sais pas.

Elle parut radieuse :

-Alors, Irina ne fait pas fausse route ! Que vous êtes jeune ! Et si bien fait et si touchant…

Il rougit si fort qu'elle lui adressa un sourire amical :

-Bon, dites-moi, ce film ? Irina m’a parlé et vous m’avez écrit. Vous faites un film dans lequel vous vous approchez de mon père…Il entrerait dans votre vie, c’est cela ?

-C'est un postulat poétique et, quand j'ai reçu le scénario, l'idée m'a plu. Mais maintenant que je vous vois, je doute du film ! Ce que nous montrons est loin de lui et de vous. Je suis danseur. On est beaucoup à l'être et peu à être grands.  Vous dans ce film et moi qui danserais. Normalement, je dois vous convaincre...

Elle sembla n'avoir rien entendu du tout et ses grands yeux verts d'abord fixés sur lui, revint à l'album qu'elle tourna l'album vers lui. Elle dit avec enjouement :

-Regardez, regardez les photos, voyons !

Elle commença à lire la lettre tandis qu'il feuilletait lentement les pages de l'album. Elle était bébé en Autriche puis petite sur les genoux de son père. Elle était jeune fille ensuite à Paris, à Londres et ailleurs. Enfin, elle était « lui ». Surtout Lui. Jeune fille-Jeune homme. Maintien-regard. Bouche. La même. Provocation- androgénie. Évidemment. Elle voulait tellement être son père. Elle était si tendue. Le col de chemise, la cravate, le chapeau. Masculine ? Elle cachait ses seins. Sa bouche, aux belles lèvres charnues était celle d'une femme. Mais elle était « lui » ! Elle ne pouvait pas être autrement ! Comme elle avait dû l'adorer, souffrir de sa maladie, de ce qu'on faisait de sa carrière et de sa vie, de ses ballets. Mais comme elle était magnifique !

Elle dit encore et il comprit qu'elle l'avait écouté :

-Vous ne savez plus ce que vous devez faire ? C'est cela ? Demandez-le !

-Votre histoire...

 Je suis née à Vienne mais j'ai dansé à Berlin et à Londres. A Paris, j'ai pris des cours de danse à l’école de l'Opéra. Bronislava, la sœur de mon père, m'a partiellement formée. A l'âge de dix-sept ans, j'étais à Berlin et j'y étais seule.

-Votre enfance a été cosmopolite ?

-Oui, très. Mais à la différence de mon adolescence où on a attendu de moi que je sois excentrique et prenne le contre-pied de tout, j'ai été comme une petite fille bien sage. C’était cela que l’on me demandait.

Il lui dit de parler de son père quand elle était petite. Elle dit qu'il sculptait des objets en bois pour elle, de petits chevaux, des cerfs, des ours, des loups et qu'il avait transformé sa chambre d'enfant en joli univers russe, un conte de fée. Elle dit qu'il lui parlait beaucoup quand elle était petite et qu'elle le craignait car il était jeune, beau, bien vêtu et parlait fort.

-Vous savez, il disait : « ma petite Kyra, je t'aime beaucoup »

 A Saint-Moritz, en Suisse, sur le balcon de leur chalet, il se tenait devant elle pour lui apprendre à danser et il disait : « J'ai voulu apprendre la danse à ta maman mais elle s'est effrayée. Elle avait pris des leçons et avait tenté de travailler pour les Ballets russes mais, tu sais, ce n'était pas une bonne ballerine. J'ai été très précis mais elle n'a pas voulu. Elle ne voulait pas un professeur mais un mari. Mais toi, Kyra, je vais t'apprendre. Je vais être patient. Nijinsky est un homme bon. » Il s'est mis en première, en seconde, en troisième et il a dit : regarde, écoute bien ! J'essayais de faire comme lui mais ce n'était pas cela. Je recommençais. Il finissait par être sévère. « Kyra, tu n'es pas en troisième ! » ; « Kyra, ton dos ! »  Quand il voyait que je devenais triste, il faisait devant moi des figures simples et d'autres difficiles. A la fin, il me touchait la joue et disait : « Ballerine ! » J'essayais de lui sourire.

-Ses sauts dont on tant parlé, les avez-vous vus ?

-Oui, sur le balcon de la villa à Saint- Moritz, il faisait ces sauts merveilleux. Je me souviens, il semblait s'envoler. Un des sauts du Spectre de la rose ; pas le plus célèbre, bien sûr. Et une autrefois, il m'a montré un entrechat huit. Il est resté en l'air...Ensuite, il a continué. Avec moi, avec d'autres.  Vous avez bien dû voir ces photos où, devenu un vieux monsieur, il les exécute. Bien sûr, ce que j'ai vu, c'est ma vision d'enfant. Il restait extraordinaire non parce qu'il faisait pour moi mais parce qu'il était Nijinska. N'oubliez pas sa formation : l'Ecole impériale. Aujourd'hui Vaganova. Vous qui dansez à New York, vous ne sauriez sous-estimer cette école. Nijinsky, Noureev, Baryschnikov...Vous connaissez forcément les Russes, vous êtes passé par Balanchine. Les figures, les sauts, l'expressivité, le charisme : mais oui, j'ai vu cela. Nijinsky, mon père, était encore si jeune !

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Ninjinsky : marié et malade.

Erik était violemment troublé.

-Quel âge aviez-vous quand il est tombé malade ?

-J'avais six ans. Bien sûr, je n'ai pas compris. Qu'aurais-je pu comprendre ? Qu’il nous ait poussé ma mère et moi du haut d'un escalier, vous savez, ça a beaucoup de sens pour un adulte et à fortiori pour un médecin. Moi, j'ai eu peur mais j'ai continué de l'aimer. Il lui arrivait de ne plus parler du tout, de revenir trempé de pluie ou de neige de je ne sais où. Il tenait de grands discours qui contrastaient avec ses silences, mais je l'aimais. Un jour, il était incohérent. Le lendemain, il était capable de dire à un infirmier, en français : « ne me touchez pas, je vous prie. » Plus tard, bien plus tard, je me suis demandée s’il était vraiment malade mental ou si c'était son internement qui l'avait rendu ainsi. Et en fin de compte, j'ai compris qu'il était réellement malade. Schizophrène. Vous savez, j'ai été très triste.

-A cause de sa fragilité, de son hérédité, de son frère ?

-Un enfant croit toujours qu'il peut sauver son père qu'il aime...

Il se tut. Elle l'observa :

-Vous êtes comme elle a dit. Déterminé et doux.

-Non, je suis juste...

-Ne m'interrompez pas. Vous avez la douceur des forts. Ça me donne envie de vous parler. Il a essayé d'écrire et de dessiner. C'était le Journal. Il dessinait toujours des cercles, de grands yeux, des figures étranges. Mais principalement, des cercles. J'aime beaucoup ses dessins. En même temps qu'il tombait malade, il restait profond, sensuel et mystique. J'ai su très vite qu’il était mystique et depuis longtemps et vous devez l'être aussi, sans quoi vous trouveriez ses dessins effrayants ? Vous auriez raison.

-Ils sont également effrayants. 

Il lui sourit faiblement et ajouta :

-Mais parlez, madame.

-Il dessinait pour expliquer, pour repousser le Mal. C'était le dernier bastion. Il avait lu Tolstoï, Dostoïevski. Il avait peur de la guerre et de ses aigles...

Il se redressa et dit :

-Le film n'évoque pas le danseur malade. En fait il le suit dans une période limitée de sa vie. Pour moi, les questions sur sa maladie et sa mort ne sont pas bienvenues. Je suis là pour le jeune danseur et sa magnificence...

- « Le Spectre « ? « Le Faune « ? « Le Sacre » ?

-Jeux plutôt que le Sacre.

 Elle lui dit que Fokine pour « Le Spectre de la rose » avait voulu l'harmonie, que le Spectre est harmonieux et qu'il s'inscrivait dans un cercle. Elle avait compris cela de son père. Du Faune, elle dit qu'il était de nature animale, non humaine et qu'il appartenait à un âge d'or. Une autre sphère. Pas la nôtre. Son père savait. Quant à « Jeux », elle savait qu'il en était mécontent mais cela ne signifiait pas que le ballet était mauvais.

-Il passe de l'icône androgyne que Fokine met en place au jeune homme de Jeux. Il y a sa vraie silhouette. C'est lui qui est là...

-C'est cela qui vous intéresse ?

-Oui, à titre personnel. Et c'est aussi le film.

-Vous êtes donc d'accord avec les options du film ?

-Oui, car il est montré en vie. Tous ces textes, ces discours, ces documentaires sur sa tragédie...

Elle avait un accent étrange quand elle parlait. Était-ce un accent russe ou son imitation ? Nijinsky parlait et écrivait le russe et le polonais. Il écrivait mal le Français mais savait le parler et il n’avait pu le faire sans un accent particulier. Elle avait dansé elle-même et rejoint ainsi la « Ballerine » que sa grand-mère maternelle avait été, que sa tante avait été. Il le lui dit et elle parut touchée. Sa langue se délia et elle parla de sa formation de danseuse, des ballets Rambert de ses incarnations du Faune. Il lui posa des questions techniques auxquelles elle sut répondre. Elle pouvait connaître ses limites mais il était impossible de la prendre au piège pour les ballets dansés par Nijinsky.

-J'ai dansé ses rôles ! J'ai adoré le faire !

Elle semblait contente, faisait de grands gestes des bras, parlait avec passion : « Mon père », « Diaghilev », « Fokine », « chorégraphe ». Il était saisi. Il la fit parler de sa carrière de danseuse. Oui, elle avait appris la danse classique. Il lui arrivait d'aller aux entraînements en collants et longue chemise, ce qui ne correspondait pas au costume féminin.  Elle s'était produite des années durant en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis. Bronislava, la sœur de mon père, lui avait donné ses premières leçons ! Comme elle avait appris vite ! Il ne pouvait pas, lui, la lui enseigner. Elle avait suivi des cours à l'école de l'Opéra de Paris, aussi. Et elle avait dansé, peu de temps, il est vrai. Elle disait avec son accent inimitable : « J’ai interprété mon père dans Le Spectre de la rose » et plus tard, j’ai dansé dans une revue sophistiquée, Streamline, et j'ai interprété des extraits de ses plus grands rôles ! »  C’était en 1934. Elle n’avait pas fait une grande carrière, avait épousé un chef d'orchestre, s'en était séparée, avait peint, comme son père, des cercles. C'était étourdissant. Il ne cessait de l'entendre : « Mon père », « Nijinsky. »

-Vous qui aimez dessiner, vous avez représenté votre père ?

-Oui, en costume dans du Faune, du Spectre et du Sacre.

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Kyra Nijinsky. Souvenirs d'enfance.

 

Bébé, on lui avait dit qu'elle changeait, devenait confiante quand son père entrait dans la nursery. Elle faisait partie de lui. Et il était comme elle. On lui avait dit cela, et pas seulement sa mère. Elle parlait, elle parlait et elle montrait les photos. Des amies à elle avant, des photos d'elle dans différentes capitales, son père.

-Vous avez aussi écrit des poèmes ?

-Des textes ésotériques, oui. Dans la vie, je parlais de la Suisse où mon père avait été malade, de Berlin, de l'Angleterre et de Rome. Je parlais aussi de l'Italie, après mon divorce. Tout ceci était, comme vous pouvez l'imaginer, difficile. S'en prendre aux symboles et à l'au-delà peut être une façon d'affronter les « Forces de la Vie autant que celles de la Mort ». C'est pourquoi j'ai choisi d'écrire dans cette veine...

Elle ne disait toujours rien de ce qu'Irina avait écrit et il pensa que c'était peut-être juste une lettre d'introduction. Cependant, il y avait deux heures qu'il était avec elle et comme l'heure du déjeuner arrivait, il supposa qu'elle voulait prendre congé mais elle l'étonna beaucoup.

-Vous avez du temps libre, n'est-ce pas ? Alors, venez chez moi. Je vais vous montrer des photos, des textes...

Il parut stupéfait puis se souvint des consignes d'Irina : « ne lui demandez pas de se justifier et ne posez jamais deux fois la même question ! Ne l'interrompez pas. Placez vos demandes à bon escient et regardez-là. Elle vous regardera aussi même si vous en doutez et en aura appris sur vous. Quant au film, il existe. Ne le laissez pas en arrière sous couvert qu'elle vous intimide. »

-Bien. En ce cas, je vous conduis.

Elle avait un étrange regard fixe et regardait par terre puis elle le fixa et dit « oui ». L'instant d’après, elle s'était levée et il était touché. Elle n'était pas si grande. Elle portait une grande blouse sombre, une jupe longue. Il n'était pas difficile de voir qu'elle avait un buste très fort, qui avait dû étouffer sa féminité. Ce buste, ce grand visage, ce cou fort, ces grands yeux. Nijinsky. Erik sentait que jamais plus il ne vivrait cela. Cette rencontre avec cette femme secrète et, impressionnante qu'il reconduisait chez elle ! En chemin, il reprit les thèmes des fleurs :

-Elles sont fanées…Je vais en acheter d’autres …

-Je les garderai, même fanées.

-C'est une belle réponse.

 Elle avait longtemps habité Los Angeles mais résidait maintenant à San Rafael. Elle vivait dans une maison de petites dimensions qui était claire et bien aérée. Elle était seule mais prise en charge. Manifestement, on lui faisait les courses, le ménage. Rien n'était négligé ou à l'abandon. Dans le salon, où elle le reçut, elle le laissa seul pour mettre dans des vases toutes les fleurs qu'il lui avait offertes et cela prit un peu de temps.

-Prenez place, voyons !

 C'était un décor un peu standardisé, avec un grand canapé, des fauteuils confortables, une table pour recevoir la famille et une grande bibliothèque, d'autres petites tables. Il ne voyait là qu'un intérieur américain, somme toute banal mais un regard plus attentif montrait qu'elle était européenne et raffinée. Les rideaux, la teinte des murs, les grandes lampes qu'elle avait choisies et l'absence d'excès, de surcharge. Elle avait sur une sorte de dressoir, accumulé les photos de famille et celles qui ne pouvaient tenir sur le meuble, étaient encadrées. Il vit son père et sa mère très jeunes d'abord puis déjà d'un certain âge. Ils étaient tantôt ensemble, tantôt séparés. La première photo était celle du mariage. Romola, vêtue d'un tailleur blanc, portait dans ses mains un long bouquet. Elle regardait le photographe mais son visage n'était pas très visible.

28 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Kyra, Vaslav et Romola. Souvenirs.

 

Elle baissait un peu la tête et portait un petit chapeau blanc. Nijinsky était en costume et avait l'air charmant en jeune mari souriant. Il vit aussi des photos de ses parents à elle celles de deux petites filles. Elle était la plus grande et l'autre devait être Tamara, sa sœur mais aussi sa tante, Bronislava. Et bien sûr, des photos d'elle avec Romola et Vaslav, le père et la mère. Mais plus Tamara. Pour l'instant, cela restait très familial, ancré dans l'enfance. Sur un autre pan de mur, cependant, au milieu de ses dessins à elle, d'autres photos apparaissaient, toutes également encadrées. On la voyait adolescente mais bien plus sage que sur l'album d'Irina et surtout amoureuse. Elle posait près d'un homme jeune, longiligne, à l'élégant visage rusé. Le même jeune homme posait près d'un petit garçon qui devait être leur fils : Vaslav Nijinsky- Markevitch. C'était un garçonnet au visage très rond. Il souriait gentiment. Ce ne fut pas tant l'enfant qui l'intrigua sur ces photos somme toute assez convenues mais le « mari ». Dans l'album envoyé par Irina, il figurait à côté de Diaghilev. En regardant avec attention le visage d'Igor Markevitch, il fut renvoyé à celui de l'imprésario. Les goûts de Diaghilev en matière de jeunes hommes étaient connus. Il avait lu récemment qu'il les aimait très jeunes et doués. Il était amoureux des corps de danseurs mais ne dédaignait pas les autres pour peu qu’ils fussent attirants. Markevitch avait un physique plaisant. Il avait beau paraître très content auprès de ce bébé joufflu, il endossait un rôle nouveau. Le précédent était clair. Il avait plu à Diaghilev et celui-ci l’avait formé. Il adorait le faire. Oui, c'était cela. Ukrainien d’origine aristocratique, il avait appris tout jeune le piano dont il était virtuose, la direction d'orchestre et plus tard, la composition. Il avait rencontré Diaghilev en 1928. « L'homme terrible » était mort un an après mais Kyra était déjà dans leur sillage. Elle était tombée amoureuse et l'avait épousé, celui qui avait vénéré l’homme qui avait fait tant de mal à son père. Ils étaient allés de Paris à la Suisse, de la Suisse à l'Italie...Elle s'était mariée avec lui, le jeune compositeur dont il avait lu qu'il était, tout jeune, vaniteux, complexé mais très orgueilleux car Diaghilev lui avait fait commande d'une musique de ballet. Il était plein d'espoir et les années à venir avaient montré qu'il avait de la force et du talent. En Italie, il avait été un grand chef d'orchestre. Comme il avait dû être charmé ! La fille de Vaslav Nijinsky, rien de moins ! L’image du grand danseur russe restait très prégnante. Le mythe était construit. Kyra devait être extravagante, brillante, excessive et si semblable en visage au danseur mort à la danse !  Mariage compliqué mais petit-garçon radieux. Au moins, lui, ne sentait-il rien…

Elle revint et posa sur une petite table une vase plein de grands lys.

-Que vous inspirent toutes ces photos ?

-Je vois passer votre vie...

Elle lui montra des dessins de décor, de costumes pour les ballets qu'il évoquait : le Faune, Jeux, Le Spectre.

-Vous ne pouvez connaître tout cela.

-En effet, non.

Il regarda avec attention tout ce qu'elle lui donna à voir et répondit à ses questions. Puis, elle donna ses impressions :

-Vous savez : je suis une gardienne. Ce que je vous montre témoigne d'une époque disparue. Il y avait une effervescence extraordinaire, une sensibilité qui n'est plus palpable désormais. Le temps a passé. Je comprends que les ballets qu'a dansé mon père et ceux qu'il a créés ne peuvent qu'être montrés différemment. Seulement, c'est mon père. J'ai parfois vu fort peu de fidélité...

-Tout le monde, dans ce film, tente de présenter les ballets et les textes au plus près de lui.

-Oui, vous m'avez envoyé des notes là-dessus, une copie du scénario et des photos. Est-ce suffisant ?

-Oui.

Elle sursauta ;

-Vous semblez bien peu connaître le monde et ses travers !

-Je le connais assez pour savoir qu’on vous écoutera. Je m'y engage !

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Kyra et le danseur Erik.

Elle posa sur lui ses yeux verts :

-En ce cas, je vais être franche. J'ai vu des vidéos du « Spectre de la rose » tel que vous l’avez dansé. Je mentirais en vous disant que j'ai tout aimé.

Il lui front avec vaillance :

-Que dois-je faire ?

-Répétez de nouveau et vous comprendrez. Toutefois, je vais écrire ce qui me semble juste. Vous leur expliquerez. Ils n'oseront tout de même pas me mécontenter !

-Non, je ne pense pas.

Les yeux brillants, il poursuivit :

-Bien. Pourquoi ne dites-vous rien de « Jeux » ?

-Ce que vous faites est très bien. Là, je n'ai rien à dire. Et puis, je sais que vous avez insisté pour que ce ballet soit présenté à New-York et je vous en sais gré.  Je vous suis reconnaissante pour votre détermination.

-Je suis mécontent de moi sur les deux ballets que j'ai interprétés à New- York.

Elle était rusée et faisait attendre :

-Vous avez tort. Vous êtes très bien formé et votre technique est excellente. Vous êtes très expressif et vous sautez merveilleusement. Vous avez un don. C'est évident. Ils le savent à New York : vous êtes programmé, la salle est comble. Ils ne sont pas pressés de vous laisser partir. Je me trompe ?

-Non.

-Ils vous ovationnent. Ils se lèvent pour vous.

-Oui.

-Vous faites plus que les éblouir : vous les atteignez.

-Oui.

-Il ne faut pas confondre votre amour pour la danse et votre grâce infinie avec les errances dans lesquelles on peut vous entraîner. A votre égard, je ne parlerais pas de « talent ». Irina n'aurait pas pris la peine de vous consacrer tant de temps s'il avait été question de « talent ». Vous avez réussi à imposer « Jeux » au Ballet de New York qui n'en voulait pas. Vous êtes au centre du film. Parlez-leur et vous verrez ce que vous obtiendrez.

Il hocha la tête et la vit se lever. Elle réalisait soudain qu'elle ne lui avait rien proposé à boire ni à manger et s'affairait, lui apportant du café et des sandwiches. Elle ne mangeait rien elle-même et allait et venait, un peu lourdement dans le salon tandis qu'il l'observait. Puis, quand il eut fini, elle débarrassa, partit chercher des documents dans une pièce et revint vers lui. Elle lui tendit une photo :

-Tenez.

C'était son père dans un costume oriental raffiné. Allongé, il posait dans une pose alambiquée : les mains sur le sol, le dos tendu et une jambe passant par-dessus l'autre. Son long et étrange visage fardé était surmonté d'une petite calotte orientale ornée de rubans. Erik le reconnaissait : c’était l’envoutant danseur des Danses siamoises. La photo datait de 1910. Ce qui frappait évidemment, c'était la force physique du danseur et l'expression résolument séductrice du regard. Viril et féminin, masculin et efféminé. Russe et oriental. Terriblement exotique pour l’Europe. On avait parlé ainsi de Nijinsky mais qu’avait- on dit ? Qu’il était un jeune prince, un jeune dieu ? Il l’était oui, dans un costume orné de pierreries que n’aurait désavoué aucun prince indien musulman ou hindouiste. Baskt avait dû le créer pour lui, comme il l’avait fait pour d’autres danseurs des Ballets russes et tout était luxueux et coloré. Mais il y avait un décalage : ce costume princier, ce visage changé en masque et ce regard aussi brûlant qu’inquiet…

Il fut silencieux un long moment, la photo dans les mains puis il redressa la tête et il eut un mouvement pour mettre ses cheveux en arrière qui la laissa surprise et presque rieuse. Elle voulait de lui quelque chose qui était dans la photo, il le sentait bien mais c'était à venir car ils se verraient à Los Angeles. Ses grands  yeux verts étaient centrés sur lui :

-Certainement un bon" Spectre de la Rose" et un bon" Faune". Il faudra voir ! Pour "Jeux", je sais.

Mais elle le dit en russe et ne traduisit pas. Il voulait parler des merveilleux costumes des Ballets russes, des décors sur lesquels elle savait tout et de ce que son père avait tenté de dire mais elle l'interrompit :

-Je vous laisse ce carnet. Vous le regarderez. Les textes sont quelquefois en russe. Faites-les traduire. Les autres sont en anglais.

-C'est un prêt très précieux. Toutefois, nous n'avons pas parlé des textes du Journal qui ont été choisis pour le film et des textes qui sont des montages.

-Non, mais vous saurez faire.

 L'un et l'autre étaient las maintenant. Très ému et très déférent, il lui prit une main et l'embrassa. Elle le salua et le raccompagna à la porte mais comme il se retournait pour lui sourire, elle sembla se replier sur elle-même. Certainement, elle viendrait. Elle lui avait donné son accord. Cependant, il le comprit, ce serait difficile. Elle ne voulait pas un danseur si impeccable soit-il ; elle voulait son père. Elle voulait Nijinsky. Elle serait impérieuse et toujours en désaccord.

Il commença à rouler en tentant de s'apaiser mais le doute l'assaillit. Qui regarderait vraiment une personne telle que Kyra Nijinsky ? Qui se préoccuperait de ses intentions profondes ? On attendait qu'elle soit une bonne caution comme on attendait de lui qu'il soit le beau danseur danois qu'on applaudissait à New-York et qui, malgré son succès et son charisme, décidait de faire un film difficile. Ils n'étaient pas là pour changer leur vision. Mais il y avait cette photo extraordinaire, il y avait ce carnet, il y avait cette femme aux yeux verts et cette photo du danseur. Il ne lui restait qu'une seule chose à faire : suivre à la lettre ce qu'elle lui avait dit et ne pas la décevoir...

Il téléphona à Mills que tout allait bien mais qu'il ne rentrerait pas tout de suite. Il devait faire une pause, réfléchir.  Il chercha un joli hôtel en bord de mer. Le Pacifique ! Il était encore assez tôt pour acheter un maillot de bain. L'été brillait. Il s'enfonça dans les vagues et nagea longtemps. Puis il dîna et but du vin blanc. Il respirait calmement et restait en silence.

A Christopher, un peu inquiet, qu’il rappela, il dit :

-C'était incroyable mais il faut que je sois seul, un peu.

-Tout va bien, tu es sûr ?

-Oui, je t'assure. J’ai juste besoin de réfléchir.

Ereinté et confus, il tomba dans un sommeil turbulent. Au matin, il était toujours aussi tendu de nouveau puis il décida de ne plus l'être et s'étira.

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 > >>
Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité